Hi'.

      L'avantage d'être au contrôle de l'éditorial est de pouvoir le retarder afin de rester dans les temps. C'est tricher, certes, mais l'important est que le Libra avance et le Libra a avancé.

      L'histoire du Libra est extrêmement difficile à écrire, quand on essaie de le faire bien. Déjà, au niveau du style, de la forme, il s'agit de pasticher des textes qui ne sont pas les nôtres, et de s'approprier leur histoire. Or dans le cas du Pont par-delà les brumes, il y a un style familier et proche du conte, une certaine légèreté mais pas seulement. La clé du style reste les anecdotes du village qui rythment le récit et prennent souvent le dessus sur l'intrigue même. Si on ne comprend pas ça, on passe à côté de l'intérêt premier du texte, ce microcosme de gnomes qui fascine et dont chaque scène est une excuse pour l'explorer plus avant. Il faut accepter de faire des phrases assez longues, assez franches et pleines de commentaires personnels, mais il faut surtout être prêt à inventer toujours plus de petits détails sur la manière dont les gnomes vivent et dont le village s'organise.

      Sur le fond, le Libra est par définition un récit enchâssé. Les personnages passent d'un univers à un autre et s'y adaptent, mais cela signifie qu'à l'intrigue générale du récit s'ajoute l'intrigue de l'univers où ils se trouvent. Et si cela ne suffisait pas, l'intersection de ces deux contraintes implique un troisième enjeu, le thème même de l'arc en cours, qui varie de personnage en personnage. Pour Quirinal, le choix a été de mettre en parallèle les Chroniques en siège et le siège du village par la Forêt, et de pousser le rapport jusqu'à ses extrêmes. Plus difficile encore, l'intrigue générale autour du Libra est généralement effacée à l'intérieur de l'univers, ou n'apparait qu'en filigrane et seulement pour ceux qui en sont conscients. Là encore, le texte y pare en faisant écrire à l'intérieur même du Libra les informations nécessaires pour comprendre ce qui se passe "vraiment".

      Le Libra n'est donc peut-être pas le choix le plus avisé pour un récit commun, de par sa complexité, mais c'est bien un récit de renard tant il peut, si on joue avec, impliquer de niveaux de lecture, et c'est bien un récit de chroniqueur qui joue presque entièrement avec le style pour parvenir à ses fins, et où les règles de l'écriture sont manipulées directement par les personnages. C'est cela qui rend l'aventure captivante :

      RdM de juillet 2016

      Jusqu'à présent le Libra n'a jamais été exploité, et cet arc n'est pas prévu pour le pousser plus avant. Il s'agit d'une simple excuse pour avancer dans le Point final ou pour accomplir ce défi des chroniqueurs par une voie détournée. Mais le potentiel du récit, une fois abandonné l'idée du défi ou du feuilleton, est assez gigantesque. Il est dommage que plus personne n'ait le temps de vraiment l'explorer, renard inclus, mais peut-être qu'une fois l'arc terminé le prochain territoire à visiter pourrait être le Liscord. Pas seulement parce que le renard veut une excuse pour y retourner, mais parce que le Libra est fondamentalement un jeu d'énigme et de mystère qui demande des calculs froids et de la logique ; et le monde de démons qu'est le Liscord repose sur les mêmes principes, à peu de choses près, des règles implicites avec lesquelles il faut jouer.

      Ou alors on peut réduire un texte à une simple aventure humaine, et laisser les personnages s'exprimer. Chacun, après tout, fait dire ce qu'il veut, chroniqueurs,
à vos plumes !

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