Voici un commentaire de deux sites évoquant chacun un aspect particulier d’un mouvement mal connu en France.

Deux aspects du Cyberpunk

   

     De nombreux sites internet sont dédiés au mouvement cyberpunk, proposant pour la plupart les mêmes informations. On y apprend qu’il s’agit d’un mouvement littéraire, né avec la parution en 1984 de Neuromancien, roman univers de science-fiction écrit par William Gibson ; à l’image de ce livre-emblème, les romans cyberpunks mettent en scène un monde organisé autour des technologies de l’information, où le réel est réglé via le virtuel (le cyberspace, vision future de l’internet que nous connaissons) et où la seule alternative à la soumission est incarné par le netrunner : le pirate informatique qui détourne les outils d’oppression. Une telle définition du mouvement cyberpunk est cependant limitée pour le lectorat français, dans la mesure où elle n’explique guère pourquoi cette tendance est si peu connue en France, et qu’elle n’évoque pas le visage activiste/politique du cyberpunk, dont la naissance a fait suite à celle du mouvement littéraire. Voici deux sites internet, qui permettront d’appréhender ce mouvement aussi récent que dynamique, dans son contexte littéraire aussi bien que politique.

   

I. Portées de la culture de Science-fiction, et place du cyberpunk Colloque "Limaginaire de l’éléctricité" en décembre2002, à Lille3 (organisé par Sylvie Thorel et Claude Jamain)

 

www.schismatrice.net

 

     Communément présenté comme un sous-genre de la Science-Fiction, on ne saurait limiter le cyberpunk à cette conception. Deux raisons devraient nous pousser à reconsidérer ce point de vue, qui tend à enlever au mouvement certaines particularités. La première est, comme on le verra plus bas, l’évolution du statut de la Neuromantic (c-à-d le cyberpunk tel que le nomment ses fondateurs) ; mouvement d’anticipation au premier abord (et en cela répondant à l’une des nombreuses définitions de la S-F), le cyberpunk littéraire s’est vu rattrapé par la réalité de façon extra-ordinaire - à tel point que l’on estime que le terme de "cyberspace" (proposé par W. Gibson dans Neuromancien) conviendrait mieux auourd’hui pour décrire Internet, voire les autoroutes de l’information dans leur globalité. Il n’est plus question de conjurer un avenir probable, mais de s’inscrire dans ce qui est devenu réalité, de se l’approprier (d’où apparition d’une branche socio-politique du mouvement). La seconde, consécutive à la première, est que le cyberpunk est devenue une contre-culture, comparable au psychédélisme des années 60-70 (en particulier au mouvement hippie). Cette dimension véritablement culturelle confère au mouvement cyberpunk une identité et une incidence qui l’éloignent de la sphère "S-F" traditionnelle, comme l’explique Gérard Dahan lors d’un colloque à Lille3, en 2002.

     Le site schismatrice.net, qui propose plusieurs articles sur la science-fiction, met en ligne quelques textes de G. Dahan, dont "Liberté, virtualité, post-humanité : l’imaginaire débridé du cyberspace". Cette intervention, lors du colloque de 2002, aborde d’une façon générale cet "oubli" dans le paysage culturel/littéraire français qu’est la littérature de science-ficton. Les univers dominés par l’électricité, la machine, sont en effet peu présents dans les lectures scolaires ; la littérature qui les a fait naître est, dans l’ensemble, méprisée des intellectuels - au mieux ignorée. De ce fait, le cyberpunk, entre sur-médiatisation et le underground aux Etats-Unis, en est d’autant plus marginalisé en France - le terme de "cyberpunk" est la plupart du temps inconnu du grand public, qu’il soit ou non amateur de S-F. Ce texte constitue, de ce point de vue, un bon point de départ pour appréhender ce mouvement ; contrairement à de trop nombreux sites francophones, il ne se contente pas de présenter la naissance du cyberpunk (que l’on date habituellement avec la parution du Neuromancien de Gibson en 1984) dans le seul contexte américain, mais détaille avant tout la situation en France. A la lecture de cet exposé, on comprend alors pourquoi le cyberpunk a pris une telle ampleur aux Etats-Unis (toutes proportions gardées, le mouvement n’en reste pas moins souterrain) tout en ayant à peine effleuré le paysage français.

     Y sont parfaitement rappelées les raisons du dénigrement de la S-F en France, malgré que des quatre fondateurs du genre, deux étaient francophones (Jules Vernes, Rosny-Ainé). "L’origine de cette aversion pour la chose scientifique est bien connue : elle date de la Première Guerre mondiale", ainsi que l’écrit Serge Lehman dans sa préface à Escales sur l’horizon ; si la machine était porteuse des plus grands espoirs de l’homme à la fin du XIXème siècle (et donc présente dans la plupart des romans utopiques de cette période), les applications qui en ont été faites dès la première guerre mondiale n’en ont déçu que plus cruellement. Les gaz de combat, les explosifs devenus omniprésents dans l’armement, l’industrialisation de la mise à mort - puis les camps tels qu’Auschwitz, l’utilisation de la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki durant la deuxième guerre mondiale dépassent en horreur tous les conflits précédents. Le XXème siècle aura avant tout fait la preuve du pouvoir de destruction, et de déshumanisation, de la technologie ; il s’en est suivi aux Etats-Unis (et plus généralement dans la littérature anglo-saxonne) un courant dystopique, la plupart du temps inscrit dans le genre de science-fiction, en réaction à cette immense désillusion quant au pouvoir bénéfique de la machine (il était admis au XIXème siècle que l’amélioration de la condition humaine ne se ferait pas sans celle-ci, en particulier en France). Si, dans la littérature américaine, une période dystopique a très nettement succédé à un épisode utopique - injectant par là une certaine dynamique dans la S-F, la réaction n’a certes pas été la même en France. G. Dahan illustre cet état de choses en faisant appel à Lehman :

     "Ce rejet, qui éclaire d’un jour particulier la naissance du surréalisme (comme affirmation du primat du sensible sur la perception « objective »), priva la SF française de l’entre-deux-guerres de tout appui intellectuel, institua le pessimisme en règle (Barjavel, qui fait le lien entre cette époque et la nôtre, l’illustre assez) et rejeta le genre aux marges de la littérature - là où l’optimisme est toléré : le conte pour enfants. Quatre-vingts ans plus tard, nous vivons encore sur cette idée que la science est mauvaise, qu’elle est l’affaire des seuls ingénieurs et que la culture se corrompt à l’approcher de trop près."

     La culture française, en effet, n’intègre que difficilement les nouvelles technologies - y compris lorsque celles-ci se révèlent incontournables : la démocratisation d’Internet dans notre pays n’a été que très récente - de même que l’ordinateur a longtemps été considéré d’un oeil sceptique, comme l’explique G. Klein. Outre cette méfiance vis-à-vis des technologies de l’information, la méconnaissance du phénomène cyberpunk en France est aussi à mettre en relation avec une particularité américaine, que G. Dahan évoque en ces termes :

 

"Une technologie culturelle issue en particulier d’une littérature de science-fiction irriguée par la contre-culture psychédélique des années 60."

 

     La science-fiction et le psychédélisme n’ayant tous deux eu que peu d’incidence dans l’hexagone, on comprend que l’émergence d’un mouvement avant tout américain (par la culture dont il se nourrit), le cyberpunk, n’ait fait qu’un nombre très restreint d’adeptes hors les Etats-Unis.

 

     Le cyberpunk s’est néanmoins étendu en dehors de ces frontières et, en dehors de la sur-médiatisation dont il a fait l’objet (le terme de "cyberpunk" a été imposé par les médias - tandis que les fondateurs lui auraient préféré le mot "neuromantic" - jeu de mot entre Neuromancien et New Romantic), a fait preuve d’une grande intensité. De par les thèmes qu’il aborde (le cyberspace, une société contrôlée par l’information), il est en effet fortement ancré dans la réalité - à tel point qu’il s’est vu rattrappée par celle-ci (ainsi qu’on le verra dans l’article suivant) : la plupart des intellectuels estiment aujourd’hui que le mot "cyberspace" conviendrait mieux pour décrire Internet et les technologies similaires... le Net n’en était pourtant qu’à un stade "embryonnaire" lorsque Gibson écrivit Neuromancien.

 

     Ce texte permet donc de situer clairement le cyberpunk par rapport au contexte français, en même temps qu’il prend une certaine distance avec la théorie communément admise, qui institue Gibson comme père du mouvement. On ne saurait en effet dater avec autant de précision la naissance de ce genre littéraire (une date, un auteur, un livre) ; de ce point de vue, ce texte précise le contexte (culturel) qui précède la parution du fameux Neuromancien : parutions d’articles confidentiels et non signés, sous la direction de Bruce Sterling (le co-fondateur du cyberpunk) dans le cadre de ce qui n’avait d’autre nom que "le mouvement", à la fin des années 70 (mouvement qui s’inscrivait dans une tendance de contre-culture, également incarnée par le psychédélisme).

     Par ailleurs, comme l’indique le titre de l’article, le cyberpunk ne concerne pas seulement la virtualité ; il se penche de façon plus générale sur les conséquences de l’extraordinaire progression technologique qui caractérise le XXème siècle. Avec l’apparition de concepts tels que l’amélioration - ou le remplacement - du corps humain par la mécanique et l’électronique, l’exploration, la manipulation - voire la fusion de l’esprit et de l’informatique, le cyberpunk introduit une dimension réflexive sur le concept d’humanité - ou de post-humanité. Cette question de la redéfinition du concept d’humanité est relativement peu abordée dans la science-fiction "classique" - chose d’autant plus étonnante que la technologie actuelle semble annoncer de profonds bouleversements dans notre façon d’appréhender l’humain, ou de l’imiter (les intelligences artificielles font depuis plusieurs années l’objet de recherches sérieuses). Outre cet aspect technologique, le cyberpunk se penche en fin de compte sur la capacité de l’homme à créer, à se recréer.

 

Conclusion :

     On le voit, ce mouvement est loin d’être figé ; abordant des questions d’actualité du point de vue de l’anticipation, cette littérature soulève de profondes réflexions, parfois urgentes, sur notre avenir proche et notre maîtrise (ou non) de ce que nous créons. Le cyberpunk, bien que récent en tant que genre littéraire, démontre un étonnant dynamisme, étroitement lié à la réalité - et aux lendemains de celle-ci. Cette ancrage aux problèmes d’actualité (et les inquiétudes qui nourrissent le genre) et ce dynamisme expliquent d’ailleurs que la "neuromantic" ne soit pas restée qu’un mouvement littéraire : elle a suscité des réactions concrètes vis-à-vis des technologies de l’information, et de la portée politique de celles-ci.

   

II. L’état d’internet 1999 Université de Montréal, Faculté de droit

 

http://www.lexum.umontreal.ca/cours/internet1999/

 

     Ce site internet propose une série d’articles rédigés sous la direction du professeur Daniel Poulin, dans le cadre de son cours sur les technologies de l’information pour le droit. Comme son nom l’indique, ce groupe d’articles dresse un "état des lieux" d’Internet, établissant les enjeux et évolutions de ce nouveau média. On remarquera, bien sûr, la partie VI - La vie privée, réglements et dérèglements - qui, comme son nom l’indique, porte sur l’impact du net sur notre vie privée, et comporte un article intitulé "les cyberpunks".

     La présence de celui-ci dans ce corpus indique en elle-même combien les préoccupations majeures des cyberpunks - en ce qui concerne les libertés individuelles et l’exploitation de l’information qui les menace - sont devenues d’actualité, préoccupations qui étaient déjà très précises dès Neuromancien, premier roman du mouvement, écrit par son co-leader William Gibson,et publié en 1984, avant la démocratisation d’Internet. Ce livre fondateur marque l’émergence du mouvement cyberpunk, en tant que sous-genre (très vite devenu populaire et sur-médiatisé) de la science-fiction : anticipation, futurologie et mises en garde quant aux déviances de plus en plus manifestes de notre modèle social. Mais il est à souligner que l’essor du mouvement coïncide avec celui du Net auprès du grand public ; de ce point de vue, les articles ici-proposés - en particulier dans la partie VI - permettent de comprendre pourquoi le mouvement cyberpunk est devenu un genre à part entière. Le cyberpunk n’est plus seulement un mouvement dystopique, qui donne à voir un futur qu’il faut redouter - d’autant plus sombre qu’il était vraisemblable, mais est devenu un mouvement littéraire ancré dans la réalité, abordant par la fiction les abus, atteintes aux libertés et formes de contrôles qui sont aujourd’hui devenus réalité.

     Stéphane Desrochers, dans "Internet, une maison de verre", fait le point sur ces dérives - plus ou moins connues du grand public, et examine en particulier le principe de surveillance, systématique sur le Net : depuis le traîtement de données privées à des fins commerciales jusqu’à l’espionnage et l’implication de services secrets de renseignements, en passant par le contrôle étatique ou professionnel.

 

"L’« architecture » de la vie privée dans le cyberespace

 

[8] Dans un article remarquable, le professeur Lessig de l’université Harvard partage sa réflexion sur ce qu’il appelle l’« architecture » de la vie privée. Distinguant entre le monitoring, ou surveillance, et le searchable, soit la matière enquêtable, il démontre que les technologies propres à un espace-vie, son « architecture », conditionnent la sphère de vie privée des individus. Cette dernière, selon lui, est une fonction de la surveillance et de la matière enquêtable.

[9] Un individu vivant dans un village, espace réel par excellence, est le sujet d’une surveillance par le fait d’être vu par d’autres individus dans le cours de ses activités quotidiennes. La matière enquêtable inclut sa demeure, ses biens, ses écrits et sa personne. Dans ce type d’architecture, la surveillance résulte de la présence d’autres villageois ; elle est momentanée et ne laisse pas de traces, sauf peut-être dans la mémoire des gens. La matière enquêtable est restreinte par les « coûts » très élevés d’enquête, soit en temps, en ressources et en fardeau imposé au sujet de l’enquête.

[10] Dans le cyberespace, la surveillance est accrue considérablement. En fait, l’architecture du cyberespace est conçue de manière à surveiller nos faits et gestes et, différence importante, à conserver un enregistrement permanent de ceux-ci. Du coup, le volume de matière enquêtable augmente. Dans l’équation, l’augmentation de la surveillance et de la matière enquêtable entraîne une réduction de la sphère de vie privée. Une autre conséquence de l’architecture du cyberespace est que plus de gens peuvent enquêter. Enfin, les progrès techniques diminuent les coûts d’enquête. En d’autres termes, l’architecture du cyberespace est ainsi faite que la surveillance est le principe au lieu de l’exception (Lessig, 1998)."

   

D’où un certain nombre d’affaires qui devraient nous alerter et appeler notre méfiance ; telles que le problème des pentium III permettant un profilage excessif sur le net, ou, plus inquiétant, l’affaire Mc Veigh :

[22] Timothy R. McVeigh (sans relation avec l’individu condamné relativement à l’attentat à la bombe à Oklahoma) était un officier de 17 ans de service et hautement décoré de la Navy américaine. En septembre 1997, une employée volontaire de la Navy, dont le mari était un officier à bord du même vaisseau que McVeigh, a reçu un courriel portant l’entête « boysrch » à l’occasion d’une collecte de jouets pour les enfants des marins. Le message était signé simplement « Tim » et provenait d’un serveur de America On line (AOL). Curieuse quant à l’identité de « Tim », l’employée a enquêté à l’aide d’une fonctionnalité du courriel AOL, soit un tableau des profils des membres d’AOL. Le profil de « boysrch » indiquait que le compte de courriel appartenait à un certain « Tim », résidant à Honolulu, Hawaii, se décrivant comme un militaire dont le statut marital était « gay ». Le profil donnait aussi certains intérêts de l’usager tels que « collecting pics of other young studs » et « boy watching ».

[23] Cette information a été transmise au haut commandement du navire et une enquête interne s’ensuivit. Les soupçons se sont vite tournés vers l’officier McVeigh. Le conseiller juridique à bord, avant même d’avoir confronté McVeigh à ce sujet, a appelé un préposé du service à la clientèle d’AOL et, sans même s’identifier, a pu confirmer que le compte de courriel listé sous le pseudonyme « boysrch » appartenait bel et bien à Timothy R. McVeigh. McVeigh a été démis de ses fonctions à la suite d’une enquête et audition administrative, la faute de « homosexual conduct » ayant été démontrée. McVeigh a eu gain de cause dans sa requête en injonction provisoire contre le gouvernement. (McVeigh c. Cohen)

[24] La cause McVeigh illustre le danger lié aux enquêtes informelles nées d’un simple sentiment de curiosité, menées par n’importe qui, sans but précis si ce n’est d’établir l’identité. En l’espèce l’enquêteur était de bonne foi ; une réputation a néanmoins été détruite. Internet ne risque-t-il pas de donner des munitions aux enquêteurs autrement motivés ?

   

     A la lumière de ce compte-rendu des scandales qui ont marqué l’histoire d’Internet, il apparaît bien que le cyberspace, en l’absence de règlementation, est en train de devenir un nouveau lieu du pouvoir (commercial essentiellement) et de surveillance du citoyen ordinaire (donc de son contrôle) (lire "commerce électronique et vie privée" dans l’article sus-mentionné).

     Il n’est guère étonnant, dès lors, que le mouvement cyberpunk ne soit pas resté qu’un genre littéraire de la science-fiction, comme l’explique Sacha Laurin dans le Phénomène Cyberpunk.

     Les déviances redoutées du cyberpunk ayant évolué de la fiction à la réalité, plusieurs groupes ont émergé se réclamant du mouvement, lui conférant ainsi une réalité socio-politique :

"[3] Parallèlement, les auteurs y créent également un nouveau type de personnage de fiction : le cyberpunk. Ce dernier, un être particulièrement doué dans le monde de l’informatique, use de son talent à diverses fins, mais principalement dans le but d’éluder le Système ou de lui causer des ennuis. Enfants de l’informatique, les cyberpunks symbolisent l’actualisation des groupes de marginaux et de contestataires, propres à chaque époque, à la société de l’information et ses problématiques spécifiques.

[4] De la fiction à la réalité, nous assistons maintenant à l’émergence d’une nouvelle sous-culture se voulant de plus en plus importante dans la société. Certains groupes, pressentant que le futur leur réservait un dessein semblable, s’approprièrent le concept littéraire et le titre cyberpunk. Tant par leur profond amour pour les technologies de l’information que par l’apprentissage de techniques de survie ou de guerre, les cyberpunks d’aujourd’hui s’arment pour affronter le Système dans ce qu’ils conçoivent être le monde de demain. Ils entendent l’affronter sur leur propre terrain, le cyberespace, lieu où ils s’allouent, souvent avec raison, le titre de maîtres.

[5] Politiquement, leurs revendications s’étendent du respect de la vie privé à la liberté de l’information et elles sont souvent caractérisées par l’entretien d’une méfiance face au Système en place et à ses campagnes de désinformation. Leur raisonnement est basé sur le postulat selon lequel l’information est l’instrument de pouvoir par excellence du futur, comme l’est aujourd’hui l’argent, et qu’il est en conséquence normal de s’attendre à un accroissement de la protection de cette nouvelle valeur. De peur de reproduire à nouveau le scénario social du capitalisme, où le pouvoir n’est détenu que par une minorité de privilégiés, ils réclament la liberté d’accès à l’information pour tous afin que chacun puisse puiser à sa guise et en toute égalité dans le savoir terrestre. Le mouvement soulève enfin quelques problématiques juridiques en matière de droit criminel et finira par poser de sérieuses difficultés juridiques et éthiques dans le domaine de la santé."

   

     Comme l’explique S. Laurin dans son introduction, les cyberpunks activistes ont donné corps au netrunner dépeint par les auteurs du mouvement. Leurs méthodes, motivations et revendications, appliquées au monde actuel sont les échos des convictions dont les auteurs cyberpunks nourrissent leurs romans - similiratés qui soulignent davantage la pertinence de ce courant. Auteurs comme activistes hackers sur le net,‭ ‬sont conscients que l’information est une donnée essentielle quant à la liberté de l’individu dans le monde actuel‭ ‬-‭ ‬plus particulièrement dans un monde où les médias occupent une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne.‭ Or, c‬omme l’ont pressenti les pères du cyberpunk‭ "‬littéraire‭"‬,‭ ‬Internet constitue un véritable bouleversement dans le paysage de l’information/informatique et de la communication‭ ; ‬déjà devenu incontournable dans les milieux financiers,‭ ‬il est également en passe d’envahir le monde professionnel,‭ ‬et de changer de façon radicale notre communication vers autrui.‭ ‬Etant donné que nous n’avons pas encore fini de mesurer l’ampleur des changements que le net introduit dans notre style de vie,‭ ‬il n’en est que plus important pour les cyberpunks de s’impliquer dans l’évolution de ce nouveau système parallèle/virtuel‭ ‬-‭ ‬mais pesant de plus en plus lourd dans la‭ "‬réalité‭" ‬-‭ ‬et dont l’individu lambda reste la plupart du temps inconscient des enjeux.

‭     Dans ce contexte, il est primordial de « défier l’ordre établi » - leitmotiv politique à la base du militantisme cyberpunk. Il faut y voir la crainte de voir se répéter sur le net les échecs et déceptions du « monde réel » : à travers le regard très politisé de la plupart des groupes activistes, le capitalisme, fondation du modèle social des pays du Nord, incarne l’ennemi principal, un ultra-libéralisme motivé par le profit et encourageant pour y parvenir la violation de libertés individuelles.

‭[42] À l’autre bout du spectre, figurent les questions touchant la vie privée et la protection des renseignements personnels, commerciaux ou étatiques. Devant les vols d’informations et la vente d’informations personnelles, plusieurs, et non seulement les cyberpunks, manifestent le désir de protéger ces renseignements des usages non permis. Selon la conception cyberpunk, le Système détient un accès complet aux informations pertinentes concernant ces citoyens. Par pertinentes, on entend tout type d’information qu’elles désirent connaître sur une personne ou un groupe donné. Devant une telle perspective, nul ne s’étonne de voir surgir des chauds débats entourant la vie privée et ce, bien qu’on ne soit actuellement qu’à l’aube de la société de l’information.

     L’affaire Mc Veigh,‭ ‬évoquée plus haut,‭ ‬laisse à penser que ce point de vue est loin d’être fantaisiste. Dans cette optique, les cyberpunks sont également désireux d’imposer un code éthique particulier, susceptible de défendre à la fois la libre circulation du savoir, ainsi que de préserver les renseignements privés de toute divulgation :

29] Certains cyberpunks ont tenté d’implanter un code d’éthique visant certaines activités plus douteuses du groupe. À titre d’illustrations, il n’y a aucun mal à distribuer illicitement des copies de programmes informatiques mais il ne faut pas les revendre moyennant une somme d’argent ; l’écoute des téléphones cellulaires ou l’utilisation sans droit des réseaux téléphonique ne pose aucun problème en soit, mais il faut éviter d’utiliser ses talents pour obtenir des numéros de cartes téléphoniques ou de cartes de crédit ; l’entrée par effraction dans des systèmes informatiques corporatifs ou gouvernementaux est tolérée, mais s’il s’agit d’un ordinateur personnel, la lecture du courrier et la suppression de données sont proscrites.

 

Conclusion :

     Consulter un site de droit pour en savoir plus sur le cyberpunk ? A priori déconcertant, cependant ce corpus d’articles soulève de nombreuses questions rejoignant les préoccupations cyberpunk... En dressant un bilan de l’état d’internet, il permet notamment de mieux cerner le contexte, par et pour lequel le mouvement - aussi bien littéraire que politique - s’est développé. Indissociable de ce médium qu’il s’est choisi comme espace, le cyberpunk évolue en fonction du Net : étant donnés la fulgurante démocratisation du cyberspace et les pratiques plus obscures qui s’y exercent, le mouvement ne peut plus prétendre à son premier statut d’anticipation. Rattrapées par l’actualité, les thématiques qu’il traite revêtent désormais un caractère politique, un cadre moins que virtuel - dans lequel les acteurs du mouvement cyberpunk sont clairement positionnés depuis Neuromancien.

     Cette expansion du net dans la vie courante expliquant, d’une part l’émergeance d’un militantisme socio-politique, et la "mort" du mouvement littéraire (annoncée par ses propres fondateurs) d’autre part, on ne peut guère appréhender le cyberpunk sans considérer Internet : le cyberspace anticipé dans les livres, est maintenant sur nos écrans. Il est donc essentiel de se pencher sur le web et ce qu’il est devenu afin de comprendre les différentes facettes du cyberpunk.

   

Alexandre Cottin

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