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PREAMBULE

Lorsque l’apprenti revint avec les deux prêtres vers le gardien, tous paniquèrent lorsqu’ils découvrirent la place vide. Le Gardien avait abandonné son poste ! Plus personne ne contemplait le rêve du Géant ! Comment pourraient-ils survivre s’ils perdaient le contact avec le rêve du Géant ? C’était même la preuve qu’ils existaient vraiment et qu’ils ne rêvaient pas eux-mêmes. Dans leur précipitation de combler ce vide, Gulix et Dude obligèrent l’apprenti à prendre sa place. Qu’importe il n’était pas prêt et ignorait tout de ce qu’il devait faire, car on ne s’improvise pas gardien ! Mais ils lui firent très vite comprendre qu’il n’avait pas le choix et que c’était le destin des apprentis.

Alors, non sans une incroyable angoisse, il s’avança au milieu de la salle et s’agenouilla en tailleur comme le Gardien puis ferma à son tour les yeux. Et il attendait qu’il se passe quelque chose. Les prêtres continuaient de le dévisager en espérant mettre fin à ce cauchemar. La passation d’apprenti à gardien était de toute façon toujours brutale. Même s’il n’y avait jamais eu auparavant pareil plainte du Géant, les apprentis s’installaient un jour pareil à celui-ci quand un Gardien perdait le fil du rêve et le remplaçait. C’était aussi simple que ça.

- Alors, ça y est ?

- Heu, pas tout à fait… Mais je sens que ça vient.

- Bon, bon, c’est bien. Tu veux qu’on te laisse un moment avec le Géant ?

- Si vous voulez…

- Oui, c’est ce qu’on va faire et dans une heure on reviendra te voir et tu nous diras. Ou plutôt tu ne nous diras rien si tu as réussi, car alors on ne voudra pas te déranger.


Le petit apprenti finit donc par se retrouver seul. Bien sûr, il avait menti. Il ne sentait rien du tout. D’être immobile, les yeux fermés, dans la quiétude si douce au milieu de la pénombre de la salle du temple commençaient à faire effet, mais d’une façon très inadéquate : il avait terriblement envie de dormir. Plus il luttait et plus le temps semblait se ralentir, se fractionner, comme un mur de pierre. Sans s’avoir pourquoi, il chercha une faille dans ce mur de pierre. Il se plut à y voir une petite lumière qui le transperçait. C’était encore infime, et surtout le mur devenait de plus en plus solide face à lui, mais il eut besoin de savoir ce qu’il y avait derrière. Il s’imagina une magnifique étendue verte de végétation. Et c’est ainsi qu’il s’endormit profondément.

- Alors, ça y est ?

- On dirait puisqu’il ne nous entend même plus.

- C’est un sacré veinard ! Il a réussi à se lier au Géant !

Ces voix lui parvenaient à peine. Tout juste son instinct le poussait à vouloir parler. Leur dire que ça n’y était pas, qu’il les entendait mais qu’il était simplement en train de dormir, mais son sommeil était trop profond et la présence des prêtres trop courte pour le perturber vraiment. Seulement, cela avait suffi pour interrompre son rêve, il avait basculé malgré lui dans un état intermédiaire un peu frustrant de mi-sommeil et mi-veille, où le temps filait pourtant de plus en plus vite.

  • Eh ! Petit !

Le mur se reformait dans son esprit. Il entendait sans entendre cette nouvelle voix qui l’appelait. Il revoyait à nouveau le petit point lumineux qui le transperçait. Il s’en approchait.

- Heho ! Petit !

La voix avait eu beau retentir plus forte, son esprit commençait à être aspiré par la lumière. Elle l’attirait. Il se sentait bien et surtout le mur devenait de plus en plus grand et cette lumière filtrait maintenant à travers chaque pierre, comme si on l’avait employée en tant que ciment. Puis la lumière devint éblouissante et fit disparaître chaque pierre. Et soudain ce fut la nuit.

- Petit, reviens ! Ouvre les yeux !

Il n’avait pas envie de rouvrir les yeux. Et le contact et la secousse de son épaule ne servaient à rien. Il voulait voir la lumière dans la nuit, car cette nuit qui l’entourait dans on immensité devenait curieuse, elle devenait toute jaune, comme si elle n’était plus nuit mais matière. Un jaune transparent comme un filtre sur toute chose. Quelques éclairs traversèrent la nuit jaune, mais plus que des éclairs, ils étaient des béances sur un nouveau monde. On n’arrêtait pas de le secouer et, pourtant, il avait l’impression d’être immobile, serein et transpercé par ces éclairs. Et, enfin, la nuit fut lumière. La nuit fut transparence. La nuit fut rêve, mais un rêve d’un autre qui lui parlait une langue qu’il ignorait mais que tout en lui aspirait à écouter.
- Petit, je sais que tu as réussi ! Mais je t’en supplie, tu dois rouvrir les yeux. Tu dois venir m’aider. Je suis le Gardien ! Enfin… l’ancien Gardien…

Cette voix l’importunait, elle l’empêchait d’être pleinement en harmonie avec le Géant. Sans savoir pourquoi, il attendait qu’il parle, car il sentait que c’était imminent, que ce serait le lien suprême avec lui. Il ressentit comme un souffle sur tout son corps, comme un grondement souterrain, mais surtout il s’entendit parler lui-même d’une voix qu’il ne se connaissait pas.

- SAUVE-MOI ! VITE !

Il ouvrit d’un coup les yeux, complètement paniqué. Devant lui, le Gardien lui tenait l’épaule et le fixait, tétanisé. Sa peau avait un étrange éclat jaunâtre. Et d’ailleurs, toute la pièce suintait de ce même éclat. Etait-ce lui qui continuait de rêver ou était-ce parce qu’il avait fermé les yeux trop fort tandis qu’il vivait son premier contact avec le Géant ? Il se sentit soudain plus fort et surtout très fier. La présence du Gardien l’agaçait car il n’avait qu’une envie, retourner près du Géant.

- Alors, petit, tu l’as entendu toi aussi ! Il faut l’aider !

La phrase mit un peu de temps à lui parvenir, mais son sens lui fit reprendre complètement ses esprits. La pièce reprit son éclat normal, mais la peau du Gardien conserva sa teinte étrangement jaune.

- Hein, quoi ? De quoi tu me parles ?

- Le Géant, il faut l’aider !

- Tu veux… que je te laisse la place ?

Il avait dit cette phrase parce qu’il s’était sentit soudain comme un imposteur face au Gardien. En même temps, il éprouva de la jalousie.

- Non, petit, c’est toi, maintenant, le Gardien !

- Mais…

- Ecoute, il faut aider le Géant. Et vite !

- Mais comment ?

- Tu dois me laisser passer en toi.

- Tu veux… que je t’avale ? Mais ça va pas ! Tu es beaucoup plus gros qu’un bugne ! Je n’y arriverai jamais.

- Détrompe-toi. Tu y arriveras, tu es un Gardien.

Alors le Gardien expliqua à son apprenti comment faire. Il fallait qu’il retrouve le Rêve du Géant et qu’il redevienne pleinement Gardien. Et lorsqu’il aura perdu toute conscience de la réalité alors il rentrerait dans sa bouche, car elle lui permettra de rentrer dans le rêve physiquement pour essayer de sauver le Géant.

Toutefois, il ne lui dit pas qu’il ignorait si c’était possible car aucun Gardien n’avait jamais laissé passer un autre Gardien, ni combien c’était douloureux. On n’avait jamais essayé autre chose que des bugnes. Et peut-être seuls les bugnes eux-mêmes avaient ce pouvoir. Il était inutile de l’inquiéter, seul comptait son idée folle de partir sauver son Géant. Le lien qui l’unissait restait terriblement présent en lui. Il était d’ailleurs fort possible que cette envie de basculer physiquement dans le rêve soit une façon pour lui de compenser cet état de manque qui l’étreignait depuis plusieurs heures. Mais il se sentait également guidé, comme si son dernier contact avec le Géant lui avait dévoilé tout ce qu’il avait à faire.

- Alors, tu es prêt ?

- Oui.

- Et bien, vas-y, retrouve le Géant et ne le reperd plus jamais !

- Et les bugnes, tu crois qu’ils sont sur la bonne piste ?

- Certainement… Ce sont maintenant des chasseurs de rêve. Ils sont conditionnés à sauver le Rêve. A moins qu’ils ne soient tombés dans un terrible danger…

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