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Le Diable,

Une histoire vraie

 

C’est une histoire vraie et étrange qui m’est arrivée il y a peu de temps. Elle commence le temps d’un regard. En fait, on s’est à peine croisé, juste le temps de se fixer l’un et l’autre, avec cet œil bizarre. Je suis sûr qu’il aurait voulu savoir où j’allais mais je ne lui ai rien dit. Cela ne le regardait pas encore. De toute façon, s’il l’avait su, je suis à peu près sûr qu’il se serait enfui. Il faut dire que, dans ce genre de circonstances, il est toujours difficile de savoir précisément où l’on va, encore plus quand on est entouré de tant de choses, en particulier de ces mondes cachés, avec notamment l’un d’eux quelque part tout là-haut et surtout cet autre, beaucoup plus loin et tout en bas.

Le premier est lumineux et excitant. Et chacun le voit avec ses yeux différemment : parfois, tel un jardin verdoyant et fleuri, aussi immense qu’un labyrinthe ; ou sous les traits d’une vieille grange délabrée avec plein d’outils rouillés et mystérieux, comme une ultime réminiscence des siècles passés ; ou pourquoi pas à l’intérieur de ce tiroir où dorment tant d’histoires en latence parce qu’on y aperçoit, cachée, la crosse sombre et rugueuse d’un flingue; ou bien même à travers ce vaste grenier dont les grandes males débordent de leurs trésors pour enfants de tout âge. À cet instant, ce monde nous apparait si proche alors qu’il est presque impossible d’y accéder parce que son chemin n’existe pas vraiment. Or, il repose curieusement en nous, quelque part, comme un refuge délicieux, mais on ignore comment l’emprunter ou comment il se construit ; la seule chose qu’on sait, c’est qu’on pourrait y séjourner paisiblement des heures entières.

Alors que l’autre monde en question, celui tout en bas, est sombre et inquiétant. Pour certains, il ressemble à une caverne qui descend dans les ténèbres ; pour moi, c’est un simple puit sans fond. Il n’y a pas à vouloir y aller ni à chercher son chemin pour l’atteindre, car ce monde vous aspire, d’abord tout doucement. Quand on le découvre pour la première fois et qu’il s’entrouvre devant nous, il n’est que mystères. Des mystères de toutes sortes, des qui vous appellent toute une nuit, des qui vous font frémir, des qui se cachent au fond de vos yeux, voire même des qui ressemble à cette clé qui ouvre le tiroir avec le pistolet. Et puis, il y a ceux qu’on ne veut pas connaître parce qu’ils nous disent déjà l’implacable vérité. Sauf que, peu importe ce qu’on y trouve, moi, je n’ai aucune envie d’y retourner, car le plus dur est de s’en sortir. Oui, le mieux est de ne jamais y mettre les pieds. Curieusement, les ténèbres qu’on y découvre ne sont pas effrayantes. Du moins, pas au début. Au contraire, elles nous apaisent parce qu’on n’a plus le sentiment de vivre vraiment. On se laisse porter. On attend parce que, tout au fond de nous, on sait qu’il va se passer quelque chose. Peu importe ce que ce soit. L’important est que cela arrive.

Dans ce monde, on ne sait qu’une chose : plus rien n’existe à part ces ténèbres qui, de part et d’autre, nous entourent. Moi, du fond de ce puit, très vite, je ne cherchais même plus à voir la lumière du dessus. A la place, j’observais du mieux que je pouvais les formes incertaines qui s’y cachaient et dont j’entrapercevais parfois le fugace mouvement. Or, ici, le moindre son à nos oreilles prend soudain une importance capitale, car on cherche un signe. Une preuve. Un but. Ou un truc du genre. Et pendant qu’on s’enfonce encore et encore, on continue de chercher.

Alors, dans ce monde, au milieu de l’impénétrable opacité qui nous y entoure, certains veulent savoir pourquoi ils sont là, d’autres ce qui se passerait s’ils refusaient d’aller plus loin, car chacun cherche à comprendre le pourquoi du comment. Tout du moins, on se plait à penser qu’absolument tout, ici, possède un sens qu’il n’aurait pas dans un autre monde. Pour ma part, pendant un moment, j’ai même cru qu’il l’expliquerait davantage. Seulement, maintenant que je sais ce qu’on y trouve, je ne veux pas y retourner. J’ai trop peur. Trop peur de ce regard qui plongera dans mes yeux à la fin. Et je doute que quelqu’un soit prêt à l’accepter sinon il rebrousserait son chemin au plus vite.

J’ai dit qu’il nous aspirait doucement, mais cela ne dure pas. Très vite tout change et il nous entraine aussi impérieusement que les forces infernales et tourbillonnantes d’un cyclone. Pourtant on ne sent rien, on est juste fasciné par l’immensité de ce gouffre, comme si ses dimensions étaient sa seule raison d’être sinon celle de nous y héberger. Et curieusement, on finit par y être bien, du moins on n’a soudain plus envie d’en sortir. Et tout le problème est là. C’est un puit sans fond et on aspire paradoxalement à n’en sortir qu’après avoir touché son sol à l’aide de nos deux pieds. A la place, on se laisse encore et encore s’enfoncer comme dans un sommeil sans rêve, mais où tout resterait parfaitement réel. On voudrait croire le contraire, mais non, c’est la réalité.

Là-bas, le pire reste toujours à venir. Dans cette obscurité, on ne devine pas avec quelle force le tourbillon nous entraine, ni qu’on peut y rester aussi longtemps. On ne devine pas non plus qu’on peut y mourir, parce que les parois se rapprochent dangereusement sans qu’on ne les voie. J’ignore quand j’ai tout compris. Le piège avait fonctionné sans même que je ne m’en rende compte. Je cherchais une solution qui n’existait pas. Du moins, pas exactement à la manière de celle que j’imaginais. Alors, rien n’existe plus sauf une chose : le temps qui s’est écoulé ne semble pas avoir existé alors qu’il nous a éloignés d’autant de la sortie. J’ai mis longtemps, trop longtemps, à comprendre ce monde autour de moi. Si le puit a toujours existé, il n’aura existé que parce que j’y suis entré.

Et puis, j’ai découvert que tout a un prix en ce monde. En haut ou en bas ou quel qu’il soit, oui, il y a un prix à payer. On pourra dire que le mien était des plus amers, mais ce n’est pas important. Lorsque ce chemin se présente à nous et que nous franchissons son seuil, nous ignorons, dès le moment où nous nous enfonçons en lui, que nous sommes perdus parce qu’il n’est plus possible de reculer sauf à plonger encore et encore en lui jusqu’à la mort. Cela peut durer ainsi infiniment, sauf à comprendre le fonctionnement de son piège. Alors qu’on plonge jusqu’à l’oubli, il devient effrayant de découvrir que, au sein de ce monde, l’entrée que nous avons utilisée ne pourra plus nous servir de sortie. Il faut alors accepter de ne plus la chercher là où on l’attend, c’est-à-dire ni sous nos pas, parce il n’y a rien d’autre que le vide, ni tout en haut, parce plus jamais nous ne pourrons y revenir dans notre chute. Or, tout avait été défini dès le départ, et ce, depuis toujours, pour nous en libérer.

C’est ainsi que le monde du bas nous happe malgré nous, et peut-être même avec notre consentement. Il est dommage de se dire que certains y resteront perdus à jamais, faute de n’avoir percé son secret. Heureusement, d’autres finissent par le comprendre, même si c’est parfois in extremis. Quant à moi, même si je n’ai pas envie de m’y replonger, il le faudra bien un jour, tout simplement parce que j’ai laissé, tout au fond de ce puit sans fin, cette partie de moi qui m’y regarde tout en haut, comme consternée d’avoir été prise dans ce piège avec un nouveau visage sur le mien.

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Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21484 il y a 6 ans 1 mois
Voilà mon texte pour le défi du mois. Un texte court pour une, en forme de petit jeu.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21486 il y a 6 ans 1 mois
Déjà lu. Je ne vais pas mentir, c'est tellement pratique un texte court.

Cryptique, me vient en tête. Un détail d'abord :

De toute façon, il est difficile de savoir où l’on va, surtout quand on est entouré de mondes cachés, avec notamment l’un d’eux tout en haut et un autre tout en bas.
[...]
Et puis il y a ceux qu’on ne veut pas connaître parce qu’ils nous disent la vérité. Sauf que, peu importe ce qu’on y trouve, moi, je n’ai aucune envie d’y retourner, car le plus dur est d’en sortir.

Lorsqu'on a introduit les deux mondes, j'ai trouvé ça "brutal". Et j'ai passé le reste de la lecture à penser à mes propres habitudes d'écriture, avant d'arriver à la partie "le plus dur est d'en sortir". Je me dis que, littérairement, la technique est la même : on introduit l'information la plus important comme un "complément", un détail. La seconde fois ça fonctionne très bien, et on obtient une "règle", une clé de lecture quasiment (le mot "piège" plus loin me confirmera un soupçon, mais j'y reviendrai). La première, par contre, j'ai vraiment buté.
Je me demande d'où vient la différence. Je pense que dans le premier cas il aurait fallu inverser le tout : "De toute façon, quand on est entouré de mondes cachés, avec notamment l'un (...) en bas, il est difficile de savoir où l'on va." Les mondes cachés auraient été mis en avant (assez littéralement...) mais "il est difficile de savoir où l'on va" est déjà une forme de cryptage et reste l'information principale, les mondes le "complément". Je pense juste que ce complément est trop "en surface", trop important comme décor de l'action pour pouvoir être, paradoxalement, mis en arrière-fond.
Bon j'arrête de jouer sur le langage.

Ma lecture a été rapide mais en milieu de texte, je pense même que c'était à "Certains veulent savoir pourquoi ils sont là", je me suis soudain demandé "mais où est la personne qu'il (le narrateur) a croisée ?" Et comme c'est du Zarathoustra, je me suis dit qu'il y aurait un piège, qu'on allait "tomber dedans".
Là où ça frappe, par contre, c'est que si c'est cryptique, ça se lit aisément. Parce que c'est court, oui, mais aussi parce que l'action est très simple et terre-à-terre : on descend dans un trou. Il fait sombre. Les murs se resserrent. L'action "en surface" (comme dirait Imperator) est très facile à comprendre et tout ce qu'il y a autour n'alourdit pas vraiment. On comprend, on peut suivre.
Mais il ne fait aucun doute, arrivé à la fin, qu'on a tout raté et qu'il faut recommencer la descente. Ce qui est exactement la position du narrateur. Si j'avais le temps, je regarderais comment les "nous/on/je" évoluent, la description du puits, etc... je ne l'ai pas mais je sais déjà que je vais vouloir y revenir et fouiner un peu plus. Je n'ai pas envie de m'arrêter à l'idée que "c'est une mise en abime de l'immersion", et je pense que le titre m'y autorise (à aller plus loin).

Au final, et comme toujours avec les textes, c'est le personnage (et narrateur) qui convainc le plus, parce que ce qu'il fait est tout simple et ses motivations semblent faciles à saisir, mais -- une fois encore, mentionné par le texte -- "il n'est que mystères". La description du premier monde fait penser à du nihilisme (réalité inaccessible mais familière et rassurante) et le jeu des regards peut vraiment être interprété à plusieurs niveaux.
Bref... je vais y revenir...
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21491 il y a 6 ans 1 mois
Oui, je voulais vraiment faire court. C'était mon objectif. Court et simple. C'est un texte écrit très vite. Un premier jet des 2/3. Puis une relecture avec écriture de la fin dans la foulée. J'avais une idée au départ et le fait d'écrire m'a donné une autre piste que j'ai laissé décantée pour finir le texte. Les retouches sont minimes. En le relisant, je pense que le style pourrait être amélioré, même si je ne veux pas quelque chose de très soigné.
Par contre, t'esquinte pas sur le sens, vu le processus d'écriture, je suis loin d'avoir pensé chaque mot ni mesurer le poids de chaque phrase. J'ai écrit en laissant ouvert plusieurs interprétations possibles, et toutes tournent autour de cette notion de puits sans fin.
Portrait de San
San a répondu au sujet : #21497 il y a 6 ans 1 mois
Alors moi j'y vois une métaphore de la dépression. Voilà. Ah oui, et je trouve que ce texte est plutôt bien écrit, pour le coup :) J'y ai vu, j'ai l'impression, moins de fautes diverses que d'habitude, et même s'il y en a je ne les a pas remarquées. Est-ce que tu as fait qqch de spécial à ce sujet?
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21511 il y a 6 ans 3 semaines
Ce texte peut effectivement s’interpréter comme étant une métaphore de plusieurs thèmes. L’image du puits sans fin s’y prête très bien. San a très bien vu celui de la dépression, et il y aurait aussi celui de la quête de soi, soit avec la psychanalyse soit celui de l’introspection personnelle. Vuld en a aussi pressenti un autre de très juste.

Bon, j’ai repris le texte et vous livre la version corrigée. Je l’ai repris de manière à creuser et clarifier mes idées (quitte malheureusement pour vous à les complexifier). J’ai aussi revu pour que le texte crée une atmosphère plus angoissante/oppressante, voire plus malsaine, qui était plus proche de mon projet initial. Je ne pense pas que cela passait très bien dans ma première version.
Enfin, j’ai retravaillé une dimension qui était latente (et qu’on ne peut certainement pas comprendre en l’état sauf si on connait certains autres de mes textes, on va dire une petite obsession ces derniers temps) et une autre qui me permet de mieux travailler l’aspect « boucle » du texte alors qu’elle n’était présente que de manière très fortuite (alors qu’elle unifie véritablement tout le texte)
Et puis, j’ai surtout revu le style que j’espère ici bien meilleur.

J’attends de vous que vous me disiez si le sens vous parait à la fois plus clair et plus riche (au risque d’être plus confus pour vous, je le crains). Et après, promis, je vous livre ses secrets.

PS: le texte contient désormais une énigme qui conditionne un nouveau sens possible. Saurez-vous la percer? :whistle:
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21513 il y a 6 ans 3 semaines
Pour être honnête, je préfère la première version. Et par là je veux dire que je suis arrivé à la moitié de la nouvelle version et que j'ai lâché. Là :

Seulement, maintenant que je sais ce qu’on y trouve, je ne veux pas y retourner. J’ai trop peur.


Le premier problème pour moi a été que désormais le narrateur (re)connait la personne qu'il croise au départ. Oui, je sais que ton texte dit le contraire, mais le résultat est le même. Le résultat est que le narrateur en sait plus que nous, sur ce quelqu'un et sur tout le reste.
Et cela installe de la distance.

La seconde est les questions que le narrateur se pose. Ma vie aurait-elle été différente ? Ce genre de questions est pour un début de mauvais texte d'aventure. Je ne sais pas ce que ça essaie d'accomplir ici mais tu réveilles chez le lecteur tout un faisceau de mauvais souvenirs.
C'est surtout hors-sujet ici. On parle d'un puits, et soudain le texte demande de s'intéresser à la vie du narrateur, sur lequel on n'a absolument rien dit. On se disperse.

La troisième est les généralisations. "Tous, on..." qui sont très agaçantes dans les textes philosophiques. Normalement le contexte pourrait faire passer ça sans problème, on parle des gens dans le puits et de l'effet du puits sur eux, mais la formulation détache complètement du contexte et en fait une réflexion absolue.

Enfin la quatrième, où j'ai décroché : c'est un mélange de tout ce qui précède.
- Le personnage met mille ans à me dire de quoi il a peur. Je sais que c'est pour la tension, voire qu'il a peur même d'évoquer ce qui lui fait peur, mais là on est au milieu du texte, il me fatigue...
- Le texte s'intéressait au puits, pas au narrateur, on se disperse.
- Rien jusqu'à présent ne m'a vraiment donné de raison d'avoir peur du puits. Il fait ceci ou cela mais ça rend le puits plus mystérieux qu'effrayant. Le texte assume une attitude qui n'existe simplement pas.
Le résultat est que soudain le texte semble ne plus savoir ce qu'il veut. Précédemment le texte disait aussi qu'il n'avait pas envie d'y retourner, mais ça passait très bien : on se concentrait sur le puits, on donnait la raison directement et c'était plus une raison d'aller y voir.

Bref, pour moi cette réécriture se perd et crée un effet de patchwork. "Trop compliqué", etc...
Portrait de Monthy3
Monthy3 a répondu au sujet : #21514 il y a 6 ans 3 semaines
Au préalable, je précise que je commente avant de lire les remarques des autres.

Déjà, la lecture est d'une fluidité exemplaire. Du moins, une fois passés les deux premiers paragraphes. A partir du troisième, il y a un effet d'entraînement coïncidant avec le fond du texte... et du puits, qui attire le lecteur comme le narrateur l'a été jadis. En d'autres termes, la lecture est plaisante !

Je me demande si les deux premiers paragraphes ne sont pas superflus. Je m'explique : le premier crée une interaction avec une personne qui n'est plus mentionnée par la suite, à moins qu'il s'agît du narrateur à un autre moment de sa vie, ou ayant emprunté une voie alternative. Elle n'apporte plus grand-chose par la suite.

De même, pour le monde lumineux : il crée un effet de contraste, mais il y a un tel déséquilibre entre les deux descriptions qu'il devient finalement anecdotique. Peut-être justifie-t-il le monde d'en bas, cela étant ce dernier est si énigmatique que ce motif ne serait pas suffisant.

Plongeons à présent dans le puits. Je dois dire que ma compréhension a évolué au fur et à mesure des lignes. La première interprétation est la plus basique : ciel en haut, enfer en bas. Basique, mais qui semble correspondre. Cela m'a tout de suite fait penser à la conception des enfers dans la mythologie gréco-romaine, avec un seuil - gardé par Cerbère - que l'on franchit, avant de parcourir un univers d'humaines dimensions, mesurable...et franchissable en sens inverse.

Puis les dimensions se perdent. Et puis, il n'y a pas d'effroi. Le narrateur admet que les ténèbres apaisent. Des enfers, passe-t-on à l'état de mort ? Alors, ce que l'on cherche, c'est à se prouver que l'on est bien mort. Mais en fait, c'est bien trop simple. Ce n'est pas cela.

Il y a une progression, en réalité, comme une maladie qui se répandrait, physique ou plus probablement psychologique. J'en suis venu à me fixer sur la notion de culpabilité. L'intersection entre les deux mondes serait l'instant du choix, de l'acte ; et chacun des deux mondes, les conséquences du choix accompli, les unes funestes, les autres bénéfiques. D'où la quête, la recherche d'un sens à l'acte accompli, de son caractère juste ou injuste, choisi ou inéluctable, puis la quête d'un pardon personnel, d'une... rédemption ? Tout du moins, la faculté de se pardonner ou, à défaut, d'accepter son acte pour sortir du piège de sa conscience, avant de s'y laisser entraîner jusqu'à la complaisance et l'abandon total.

Voilà donc où j'en suis. Pour être honnête, je pense que ce n'est qu'une lecture parmi tant d'autres, parce que le texte reste énigmatique et je ne suis pas certain que tu y aies disséminé beaucoup de clefs !

Et sur cette interprétation, je m'en vais lire les précédents échanges :)


Edit après lecture des commentaires : je n'ai pas trouvé l'atmosphère malsaine et oppressante. Bien au contraire, certains termes et expressions "dédramatisent" le texte : "un truc du genre", "apaisent", "doucement"... J'étais plutôt bercé que pris à la gorge. Alors, oui, c'est une partie du piège, mais elle ne paraît pas pour autant spécialement horrifiante.
Pour le reste, j'attends patiemment la lecture que tu nous proposeras !
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21517 il y a 6 ans 3 semaines
Merci à vous deux pour ce retour rapide.

Pour être honnête, je préfère la première version. Et par là je veux dire que je suis arrivé à la moitié de la nouvelle version et que j'ai lâché.

Au départ, en te lisant, j’avais trouvé que le peu de modif ne pouvaient pas changer à ce point le texte. Puis, j’ai commencé à supprimer quasi tout ce que j’ai rajouté en tenant compte de tes remarques, et le texte est effectivement mieux. C’est bizarre à quel point il faut peu de choses pour qu’une même phrases et un même mot puisse sonner différemment. En l’occurrence, tu avais raison, je n’avais pas vu comme cela donnait un côté sentencieux et pédant, là où je voulais rajouter une dimension plutôt ludique (le côté tragique et lourd n’était là que pour souligner l’humour du texte une foi qu’on a compris que le texte n’était qu’un jeu avec le lecteur..)
Résultat j’ai quasi biffé tous les rajouts… Tu verras si ça passe mieux…

PS pour Monthy : l’idée du paradis et de l’enfer vient effectivement à l’idée, forcément. Mais j’ai essayé de la mettre à mal parce qu’effectivement ce serait une fausse piste dont le texte n’a pas besoin. Pour tout te dire, ta lecture se rapproche d’une dimension que ma seconde version a voulu amplifier (mais qui, comme l’a signalé Vuld, augmente la confusion du message). Oui, je voulais que le narrateur pousse en quelque sorte le lecteur à examiner ses mauvais aspects pour qu’il puisse rencontrer le Diable qui est caché dans le texte. Je viens de remettre une version (la 3eme) qui ne jouera plus avec ça.

Je me demande si les deux premiers paragraphes ne sont pas superflus. Je m'explique : le premier crée une interaction avec une personne qui n'est plus mentionnée par la suite, à moins qu'il s'agît du narrateur à un autre moment de sa vie, ou ayant emprunté une voie alternative. Elle n'apporte plus grand-chose par la suite.

Les deux paragraphes sont les plus importants parce qu'ils posent le piège. Et pour ce que symbolise le monde du haut et le monde du bas, j'aimerai l'évoquer seulement après, pour voir si mes explications peuvent vous aider à voir le rôle de ces deux paragraphes.



Bon, l’idée déterminante qui m’a poussé à écrire ce texte était d’emmener le lecteur là où il ne voudrait pas aller. En clair, s’il avait connaissance au départ de mes intentions, jamais il ne serait prêt à lire ce texte. Donc je voulais lui faire lire ce qu’il n’aurait pas eu envie mais en le lui donnant malgré tout envie contre son gré sans qu’il ne s’en aperçoive. Telle est l’idée du piège contenu dans le texte.
Avec l’idée également de le forcer à y retourner une fois qu’il l’aurait lu pour le comprendre pleinement. Il y a ici un vrai petit plaisir sadique latent de ma part… En effet, derrière tous les sens qu’on peut trouver au texte, il y a bien sûr une sorte de mise en abime du texte lui-même et de ce que vit le lecteur quand il le lit (mais qui n’est d’ailleurs pas propre qu’à ce texte, c’est pour moi une métaphore plus générale de la quête du sens d’un texte).

Pour cela, je suis parti en me disant que mon narrateur devait être prêt à tous les moyens pour emporter le lecteur au fond du puits contre son gré tout en restant honnête, mais que le texte mettrait également en scène ce que devra vivre le lecteur de manière à finalement ne pas lui mentir. Il se trouve que, pour moi, ce narrateur n’est personne d’autre que le Diable (mais ça on ne peut pas le savoir sauf à connaitre mes derniers textes où je le mets en scène soit explicitement soit de manière cachée (comme dans l’Iconoclaste où le but était de lui faire envisager de manière très intime quelque chose d’inimaginable pour le lecteur et de transformer ainsi une nouvelle fois le lecteur en narrateur).
Pour tout vous dire, la principale et dernière modif que j’ai apporté au texte tourne autour de l’ajout d’un paragraphe où je parle de la sortie du puits. Il a pour vocation de proposer un jeu. Si on admet que le texte et le puits ne font qu’un et que le narrateur n’est là que pour pousser le lecteur au fond du puits, comment le lecteur peut-il s’en sortir s’il se trouve plongé dans ce puit sans fond? Or, ici, le texte donne la solution et le Diable est prêt à perdre pour l’aider à la trouver.
Avec toujours cette idée que je pars du principe que, tout ça, le lecteur ne voudra jamais le faire et pourtant il devra s’y sentir forcer pour s’en sortir. Pour ça, il me plait à penser qu’à son tour, il devra replonger dans le puit pour y parvenir. Bien entendu, tout cela fait partie de l’humour du texte. Le texte parait sérieux, alors qu’il n’est qu’une farce, un vaste jeu. L’humour y est absurde, noir si le lecteur reste au fond du trou ou joyeux s’il s’en sort. J’aimerai que la solution apparaisse comme un grand éclat de rire, du style « il m’a bien eu ! » ou « et dire que j’avais la solution dès le départ sous les yeux ! ».

Et en même temps, j’aimerais qu’il y ait quelque chose de touchant pour ce Diable dont le but aura finalement toujours été de sauver le lecteur et de le faire « grandir » en « auteur » pour qu’il agisse à son tour sur l’action de ce texte.

Donc mes problèmes sont les suivants :
1- comment mieux donner vie à l’immersion du texte ? Il me semble que ça fonctionne dans cette version apurée.
2- Comment faire comprendre la nécessité de sortir du puits ?
3- Et comment pousser le lecteur à comprendre qu’il doit trouver le sens caché du texte pour trouver la sortie du puit (et donc du texte) ?
4- L’identité du Diable doit-elle apparaître plus clairement ou faut-il la laisser hors champ (car je ne pense pas que cela soit nécessaire en l’état, cela ajoute à mon sens juste de l’humour pour qui aura compris le fin mot de l’histoire) ?

C’est ici, que je suis preneur de vos impressions et tes idées sur la question pour que cela passe mieux, si tel n’était pas le cas en relisant le texte, notamment pour qu’on ressente l’idée qu’il faille pour le lecteur trouver le moyen de sortir à son tour du texte

Pour finir, c'est un texte aussi un peu tragique pour moi. C'est comme pour Le Renard au Harnais, quoi qu'il arrive le Diable/Renard perd à la fin. Si le lecteur reste au fond du trou, il a perdu parce que 'il n'a pas compris le texte. S'il s'en sort, il n'est pas tombé dans son piège. D'où le prix amer qu'il reçoit.
Et en même temps, il y a aussi une vraie empathie pour ce lecteur parce qu'en face, c'est le Diable et que le jeu qu'il propose est cruel et potentiellement tragique.
Portrait de Vuld Edone
Vuld Edone a répondu au sujet : #21521 il y a 6 ans 3 semaines
J'avoue avoir sauté ton explication après avoir lu que tu avais épuré le texte. La curiosité m'a pris. Et le résultat est excellent.

encore plus quand on est entouré de tant de choses, en particulier de ces mondes cachés, avec notamment l’un d’eux quelque part tout là-haut et surtout cet autre, beaucoup plus loin et tout en bas.

La toute première version avait du mal avec ce passage. Ici ça passe comme une lettre à la poste. On mentionne à peine les mondes cachés, mais on les retient sans peine.
La raison essentielle, à mon sens, est que "quelqu'un" n'existe pas suffisamment pour être vraiment un objet, juste une propriété, et du coup on s'accroche aux mondes pour saisir ce "il" qui nous échappe.

Et c'est là la force du texte. Le narrateur, bien que clairement présent ("moi je..."), est complètement effacé, et la personne qu'il croise au départ, et qui revient à la fin -- en soi -- est également effacé. Tout le texte glisse et se décrit alors parfaitement :

On se laisse porter.

Et décrit parfaitement le narrateur (et le "quelqu'un") :

A la place, j’observais du mieux que je pouvais les formes incertaines qui s’y cachaient et dont j’entrapercevais parfois le fugace mouvement.

La mise en abyme devient alors une certitude. Le texte dit exactement ce qu'on ressent, et c'est là une forme d'ironie : la forme devrait mimer le fond, mais ici c'est le fond qui mime la forme.

Personnellement je n'y toucherais plus. Pour (1), l'immersion est impeccable. Tenter d'aller plus loin dévoilerait le piège.
Il est vrai que (2) n'est pas présent. Du tout. Au contraire, on a envie de s'y replonger tête baissée. Le texte est assez clair (un peu comme le chapeau envoyé par la fenêtre) qu'il n'y a rien à chercher mais... mais la tentation... on frôle le sens, on sent qu'on comprend, juste encore une fois... (2) ne se comprend qu'une fois qu'on réalise le commentaire méta-discursif, autrement dit (3).
En somme, (3) répond à (2). Il ne faut surtout pas (2) pour aboutir à (3).

Pour (4), je ne sais pas... le narrateur subit l'identification, autrement dit et à travers (3) il devient le lecteur. Un lecteur fictif tombé dans le piège, et qui y retombe pour ainsi dire à chaque lecture. Le "quelqu'un" de début de texte est le lecteur lui-même, on finit par le comprendre, et le narrateur l'entraîne dans le puits, mais comme le lecteur expérimente le puits à travers le lecteur, l'identification se fait et ton personnage n'est pas juste caché, il est oblitéré.

Je ne pense pas qu'il y ait besoin d'un diable tout court. Le lecteur est bien assez grand pour se tenter tout seul.
Au final, tu vois ça comme un piège mais cela me parait surtout la plus belle démonstration du contrat de lecture : même quand il n'y a rien, le lecteur y trouve son compte, parce que le texte lui a donné exactement ce qui était promis.
Portrait de Zarathoustra
Zarathoustra a répondu au sujet : #21533 il y a 6 ans 2 semaines
Bon, j'ai modifié une dernière fois le texte. Notamment en changeant le titre. Et le lancement de l'histoire.

Il y a un dernier point que je voulais évoquer. Et vous aurez ainsi absolument toutes les clés du texte. La symbolique du monde d'en haut. En soi, je sais que sa description peut le faire ressembler au paradis. Et quelque part, c'est un peu ça. Il symbolise pour moi l'endroit où le lecteur voudrait être s'il devait lire un texte. Ainsi, il s'agit de la surface du texte. Dedans j'y mets par conséquent l’univers où se passe le roman, l'intrigue, les émotions. Ce monde n'est pas non plus là gratuitement. Dans ma tête il a une fonction très précise.

Donc comme il ne semble pas assez intégré au récit, j'ai modifié un peu le paragraphe et j'ai créé un lien entre les deux mondes en rajoutant l'image d'un tiroir au milieu des autres.
Dans celui bas, lorsque j'énumère les mystères qu'il contient, j'ai rajouté celui de la clé de ce tiroir.
Ainsi, je me dis que le lien entre les deux peut pousser davantage à se poser la question de la symbolique de celui d'en haut.

Un lecteur fictif tombé dans le piège, et qui y retombe pour ainsi dire à chaque lecture. Le "quelqu'un" de début de texte est le lecteur lui-même, on finit par le comprendre, et le narrateur l'entraîne dans le puits, mais comme le lecteur expérimente le puits à travers le lecteur, l'identification se fait et ton personnage n'est pas juste caché, il est oblitéré.

Oui, c'est l'idée du texte, mais je ne veux pas d'un mythe de Sisyphe. Le texte contient littéralement une sortie. Certes, le lecteur doit comprendre la symbolique cachée, mais le sens n'est pas la seul clé. L'idée est de sortir du texte par le monde d'en haut. Le mode d'emploi est, en quelque sorte donné. Une fois que le texte est compris, le lecteur est libre d'écrire son histoire en revenant à la surface. Et l'action même de vouloir refaire apparaître dans sa tête le monde d'en haut est une histoire en soi.
C'était le dernier point que je voulais vous éclairer.

Quant à cette dernière version, j'ai changé le titre. En désignant ce texte par Le Diable, je modifie immédiatement le regard du lecteur. Il est possible que je finisse par le distraire de tout ce que nous avons vu, mais ce n'est pas grave. Clairement, la présence du Diable dans ce texte crée une tension supplémentaire. Et j'obtiens un lecteur immédiatement plus attentif car il va chercher à le débusquer. Ainsi, normalement, il doit se poser la question sur l'identiité des 2 personnages du début. Et sans doute se dira-t-il que l'un d'eux est le Diable. Bien entendu, à ce stade, il ne peut le savoir, mai il aura ça dans un coin de sa tête. Et il aura également le doute sur l'identité du narateur; Et je trouve ça intéressant. Je veux qu'il mette en cause son identité.
De plus, je dirai que le lecteur sera libre ensuite d'écrire son histoire en choisissant qui est le diable. Les deux sont possibles finalement. Et il se peut qu'il le voit dans les deux. Mais l'essentiel est ailleurs parce que, normalement, s'il commence à cerner le texte, il comprendra que le Diable n'est pas dans l'un ou dans l'autre de ces deux personnages mais partout. Sa présence se cache presque dans chaque mot, puisque c'est lui qui orchestre. Cela revient sur ma réflexion entre la différence entre le narrateur et l'auteur. Donc ici, il y a un personnage invisible et qui est mis en scène, c'est l'auteur.
D'ailleurs, ce texte est un peu ce que mon auteur des 2 précédentes nouvelles du Diable cherchait à écrire. Et cette présence du diable à l’intérieur même du texte était ce que je n'avais pas réussi à créer.

Du coup, le lecteur pourra se tromper sur l'identité du Diable, ça n'a pas vraiment d'importance; Mais, j'aimerai qu'il se pose une question fondamentale lorsqu'il relira le texte: pourquoi une histoire vraie? Parce que finalement c'est quelque part l'ultime enjeu du texte.