Inspiration proposée par Gulix en Janvier 2006.
Laissez-vous bercer par cette photographie (oui-oui, c’est bien une photo !), et faites-nous découvrir les mots qu’elle vous inspire !
Lomerandin
Du sommet de la plus haute tour du château, dame Helios contemplait le temps se dérouler, inéluctablement. Chaque jour s’allongeait d’autant d’instants interminables qui débobinaient le fil de l’existence, refusant toute compassion pour celle qui était victime de son cours.
Le temps en lui-même n’est pas cruel, du moins pas plus que la nature capricieuse, parfois généreuse, souvent sans pitié. Il passe, le temps ; c’est son rôle, et il l’accomplit scrupuleusement, ne favorisant ni dieu ni mortel. Il ne saurait être accusé de partialité. Ce serait la pire des choses qui puisse arriver, la fin de la cohésion universelle du temps et de l’espace.
Voilà des lunes que le temps filait autour d’Helios ; rapidement ou calmement, selon un rythme mystérieux connu du seul Créateur, s’il existe. Voilà des lunes que la dame vêtue de ses robes d’azur montait tous les jours les centaines de marches qui menaient à ce panorama. Tous les matins, elle s’asseyait sur les crénelons et faisait face à la direction qu’avait prise son pince charmant il y a si longtemps. Tous les matins, elle attendait la venue d’une improbable nouvelle, d’un message hypothétique. Et tous les matins, cet espoir déçu, elle redescendait les marches d’un pas lent, résigné, sans passion.
Parfois, il lui arrivait de chanter quelques paroles d’une mélodie ancienne, qu’elle avait apprise étant petite. Elle aurait voulu que l’air parviennent aux oreilles de son bien-aimé, mais les notes s’obstinaient à se disperser dans l’atmosphère ouatée. En fin de compte, elle n’en avait cure. Ce chant n’était pas particulièrement beau ou harmonique et ne méritait pas vraiment qu’on s’arrête pour l’écouter. Tout au plus permettait-il de libérer l’esprit du chanteur de sa cloison matérielle pour quelques instants.
Ce matin encore, elle avait emprunté l’escalier en colimaçon, cet escalier dont elle connaissait à présent chaque marche et chaque portion de rambarde. Un temps, elle en avait voulu à ce maudit ouvrage qui chaque jour lui rappelait sa condition. Elle avait voulu le détruire, le briser, dans le fol espoir de mettre fin à sa souffrance. Mais l’escalier n’avait pas plus qu’elle choisi son sort, et pour cela, elle ne pouvait lui en vouloir.
Ce jour-là, elle atteignit les dernières marches et poussa la porte qui donnait sur le sommet de la tour. A cette heure, les nuages recouvraient les flancs de la montagne, enfermant le château et sa résidante dans un autre monde, où dominait une seule couleur éclatante. Dame Helios ne pouvait plus apercevoir la route qui descendait des portes de la demeure jusqu’aux plaines lointaines ; route qui avait conduit son époux vers une folle aventure dans une terre lointaine, telle que seuls les chevaliers guerroyeurs pouvaient en concevoir.
Combien de fois dans les semaines qui suivirent son départ n’avait-elle pas espéré apercevoir sa silhouette à cheval remonter ce même chemin ? Mais voilà bien longtemps qu’elle ne croyait plus en son retour. Elle s’était un moment accrochée à des images, des instants cueillis qui lui avait rappelé les jours heureux. Maintenant, seul demeurait un espoir irraisonné, celui de pouvoir revivre le passé.
"Et bien, il semble que ma dame revient se languir parmi les cieux."
La première fois qu’elle avait entendu cette voix, le choc avait été terrible : elle avait reconnu les intonations familières, celles de son amour. Mais sa déception avait été grande, car cette voix n’appartenait pas à l’être le plus cher, mais au spectre d’un ancien propriétaire du château.
Le fantôme surgit du mur de la tour et se posa près d’elle. De sa vie passée, il avait conservé ses plus beaux atours de seigneur des lieux. Dès leur première rencontre, il avait été attiré par cette belle esseulée, mais ses nombreuses tentatives de séduction s’étaient soldées par des échecs. Alors il avait tenté une approche plus posée, sachant qu’il disposait d’une éternité pour gagner les faveurs de la dame.
"Vous êtes décidément la femme la plus formidable et énigmatique qu’il m’ait été donné de rencontrer : après tant de temps passé dans la contemplation des jours, voici que vous trouvez toujours le courage de monter jusqu’ici. Mais quelle mystérieuse force peut bien vous animer d’une telle ardeur à la tâche ? Comment un être apparemment si fragile a-t-il pu conserver autant d’énergie pendant une durée aussi longue ? Vraiment, ma dame, vous m’intriguez."
Elle ne lui répondit pas. Voilà longtemps qu’elle ne percevait plus le monde comme nous le faisons : sa réalité à elle avait changé et oscillait entre rêve et souvenir. Elle s’était égarée dans un univers étranger, fait de nuages et de brise qui emporte et emmêle les sentiments, sans repère pour s’orienter. Pauvre abandonnée.
"Et pourtant vous me faites de la peine, ma dame," reprit le spectre. "Quel malotru a bien pu vous briser le cœur ainsi ? Assurément, vous me méritiez pas pareil traitement. Personne ne saurait demeurer insensible à votre situation. Et certainement pas moi."
Il touchait à présent au but. Dame Helios avait perdu ses moyens et errait à présent dans sa réalité onirique. Le fantôme se rapprocha d’elle, jusqu’à lui murmurer à l’oreille.
"Regardez ces montagnes : ne représentent-elles pas une chance de s’élever une nouvelle fois ? L’espoir vous a maintenu en vie. Il est temps de repartir. Et je suis tout à vous."
Il tenta de capter son regard, mais elle ne le voyait pas. Les images se formaient et se déformaient en un kaléidoscope monochrome et silencieux. Seul un fil infime la reliait encore à sa vie faite de patience et d’attente. Et peu à peu, les souvenirs l’emportaient.
"Je répète, ma dame : viendrez-vous avec moi ?"
Elle jeta son regard dans le sien et le fol espoir s’empara d’elle. En lui, elle voyait tour à tour son beau sire paré tel un prince, son époux lors de la nuit de noces, son amant jeune chevalier sur son destrier fringant, son promis assis au bord de l’eau, son mari lui passant la bague au doigt. Les images se superposaient dans une surenchère de sentiments, dominée par une seule sensation : le vide, l’absence, l’abandon.
Elle prit la main que lui tendait le spectre.
Puis elle bascula dans un autre monde, où rêve et réalité se mêlent et s’imbriquent, jusqu’à ce que la raison cesse d’exister. Et alors, le timbre de sa voix changea et redevint celui de la belle enfant qu’elle avait été.
"Montre-moi les sommets, mon chéri," dit-elle.
Ah ! douce Helios, que te prit-il de t’éprendre d’un fantôme du passé ? La nostalgie peut-être, celle d’un temps de bonheur qui n’est plus désormais qu’une vague sensation enterrée dans les tréfonds de ta mémoire. Mêlée à tes souvenirs, elle s’est distordue avec l’âge et malgré ta raison : ton preux chevalier absent n’est plus ton prince charmant d’antan. Voulais-tu retrouver la joie d’autrefois, de ces moments que tu avais dit inoubliables et qui à présent ont perdu leur consistance ?
Ne jugez pas trop durement cette dame abandonnée. Sans soutien, face à elle-même, que pouvait-elle faire d’autre ?
Krycek
" _ Les voilà qui arrivent messire ! Le brouillard est signe de leur approche."
Messire Colin se tenait droit, l’épée ceinte à sa taille, à un balcon surplombant la vallée maintenant étouffée par la brume montante. Le soleil se couchait doucement et avec lui disparaissait l’espoir d’une autre journée pleine de vie pour le peuple retranché dans le château.
Messire Colin regarda son frère à ses côtés, une lueur de bravoure dans les yeux.
" _ Mettez les femmes et les enfants à l’abris, il n’est nullement nécessaire de leur imposer ces images de barbaries.
_ Mais Sire, vous devez vous aussi vous protéger ! Le peuple n’aura pas d’avenir sans vous.
_ Non, reprit sire Colin, il faut que je me tienne à côté des gardes et des soldats quand l’ennemi frappera à nos portes. Ces Gnefrinss ont déjà envahi les contrées du nord, les grandes steppes de l’Ouest s’étendant auparavant jusqu’aux montagnes du sud. A présent, qui sait ce qui se trouve à nouveau sous ce brouillard ? Nous devons leur donner courage en se battant à leurs côtés."
Nicholas, son frère, s’essuya les yeux, humectés de larmes salées, coulant sur ses jeunes joues.
" _ Et pourtant, quand les Gnefrinss en auront fini avec notre bastion, ils s’en iront à l’Est, vers de nouvelles terres à envahir. Et si vous êtes encore en vie, nous pourrons les prendre à revers. Vous.." Nicholas insista bien sur ce mot, mettant en valeur son admiration."... vous êtes le seul à pouvoir nous guider à une victoire certaine."
Colin pris son temps pour choisir ses mots et sorti son épée au clair des derniers rayons de soleil.
_ Vois tu Nicholas, je ne peux prendre le risque de laisser tomber ce bastion et mettre en péril les vies des territoires de l’Est. Nous avons déjà vaincu bien des ennemis pour en arriver à cette situation. Aujourd’hui nous ne faisons pas que défendre notre pays, notre royaume... mais aussi ce que le peuple a construit grâce à de longs temps de paix."
Le brouillard gagnait la forêt adjacente au château et ainsi les portes de fer du bastion.
L’ennemi frappait à présent aux portes.
" _ Pour le royaume et pour le peuple !"
Les deux frères se mirent à courir pour rejoindre les gardes et les soldats, défendre ces murs qui leurs étaient si chers.
Qui sait encore ce qu’ils auraient pu défendre et batailler pour si une appel n’avait couvert leurs cris de ralliement :
" _ Nicholas ! Colin ! Où êtes vous bon sang ?! Votre père ne va pas tarder à arriver et vous n’avez toujours pas pris votre... Sang dieux ! Mais qu’est ce qui vous a pris d’ouvrir tous les robinets d’eau chaude !
_ Oui m’man. On arrive... on allait défendre...
_ Oh c’est vos fesses qu’il va falloir défendre si votre père voit toute cette vapeur dans la maison à son retour ! Non mais vous avez perdu le sens commun ?!"
Nicholas se pencha vers son frère aîné et lui dit tristement :
" _ Ca nous a pris toute l’après midi pour créer ce brouillard au dessus de la vallée, on est pas prêt de terminer cette bataille."
Gulix
Journal personnel de Jen verLeus
le 6 juillet 1889, au matin
[quote]Nous venons de traverser l’Amazonie. Ou plutôt, nous venons de la survoler. Cela a tout de même pris une bonne semaine, malgré la vitesse de l’aéronef du Capitaine Nome. Cela fait cinq semaines tout rond que nous avons quitté Amiens. Nous allons dans quelques heures apercevoir les premières cimes des Andes. Il me tarde d’arriver à destination, et d’enfin mettre pied à terre.
Le 6 juillet 1889, au soir
La cordillère des Andes est magnifique ! C’est la première fois que l’on survole des montagnes avec le Sultan Ui. Je ne cesserai de m’étonner sur le nom de notre navire... Mais revenons à nos montagnes ! Le capitaine nous a démontré sa parfaite maîtrise du vaisseau, en naviguant au ras des éperons rocheux. Nous avons effrayés quelques villages indigènes et je crois que leurs habitants se souviendront longuement de notre passage ! Pour la nuit, le Capitaine est monté en altitude, afin d’éviter tout risque de collision. Il nous a prévenu de ne rater le lever du soleil sous aucun prétexte. J’ai hâte d’y être !
Le 7 juillet 1889, au matin
Comme nous l’avait dit le Capitaine, le lever du soleil a été une expérience fabuleuse. Le soleil est apparu au-dessus d’une mer de nuages, d’où émergent quelques pics enneigés. Les étoiles ont peu à peu laissé la place à un ciel bleu immaculé. Toute l’équipe du professeur Strogoff était émerveillée. Quel spectacle inoubliable ! Notre réaction contrastait cependant avec celle de l’équipage, plus contrariée. J’ai appris plus tard que cette mer des brumes ralentirait notre voyage. Notre seul point de repère devient maintenant le soleil. Le Capitaine ne redescendra pas à l’aveugle dans les nuages. Nous attendons donc tous une percée dans les nuages.
Le 8 juillet 1889, peu après midi
Alors que nous naviguions depuis plus d’une journée sur cette mer nébuleuse, une chose extraordinaire nous est apparue ! Un château est apparu à travers les nuages, au flanc d’un des plus haut pic que nous avons eu le loisir d’apercevoir. Il doit se trouver à près d’un kilomètre de là où le Capitaine a stoppé le Sultan. Ce qui est tout à fait remarquable, c’est que son architecture semble tout droit inspirée de celles des châteaux bavarois que j’ai pu visiter dans ma jeunesse. Le professeur l’examine actuellement à la longue-vue. Le Capitaine a annoncé son intention de poursuivre le voyage dès demain matin. Nous avons donc encore quelques heures pour percer ce mystère...
Le 8 juillet 1889, en début de soirée
C’est extraordinaire ! J’écris ces lignes à la va-vite en rassemblant quelques affaires ! Il y a de cela quelques minutes, quatre hommes se sont dirigés vers le Sultan, juchés sur des montures faites de brumes. Ils sont ensuite montés à bord, leurs montures ayant semble-t-il la capacité de flotter dans les airs. Dans un anglais archaïque, ils nous ont proposés de les accompagner voir leur chef. Moi-même, le professeur, le capitaine et son second partons à l’instant-même visiter cette demeure. Mon prochain message relatera ce que nous y avons découvert...
Imperator
De toutes, la falaise de "Bastoc" est sans aucun doute celle qui restera à jamais gravée dans ma mémoire.
J’ai éscaladé des monts au milieu du blizzard, gravi des sommets dans la tourmente des éléments, risqué mille fois de perdre la vie au milieu d’une tempête, dans ces moments où la vie ne tient plus qu’aux deux cordes et à la chance, mais la falaise de Bastoce, vois-tu, est différente.
En partant, je ne me doutais de rien. J’étais confiant, le défi semblait facile, la météo clémente, mon équipement sortait de révision. J’y allais, comme à mon habitude, seul. L’escalade est une évasion, c’est ainsi que je vis l’aventure. On part loin de tout, seul au dessus du vide, et pendant un moment on se sent libre. Pour cette montée, j’avais prévu qu’il me faudrait six jours.
Le premier passa sans qu’il n’y eut rien d’anormal à signaler. Tout au plus une légère brume qui s’était formé derrière moi et me masquait le fond de la vallée. Je remerciais secrètement les dieux, quels qu’ils soient, de me l’avoir offerte. J’étais seul et j’étais heureux.
Le second me permit d’atteindre presque la moitié de la falaise, ou tout du moins le jugeais-je ainsi. Le soir, en m’endormant, serré contre la paroi, je repensais déjà au retour et regrettais d’avoir été si rapide. Tout changea durant la nuit.
Qu’était-ce ? Le son d’un cor ? Un coup de tonnerre ? Rêve ou réalité ? Toujours est-il que je m’éveillais rapidement, dérangé par le bruit. C’était l’aube, une aube pâle, terne. La brume s’était faite plus épaisse en contrebas et semblait partir à l’assaut de la falaise. Je ne remarquais pas encore son niveau plus élevé.
En effet, j’étais littéralement suibjugué par ce que je voyais. Là, sous mes yeux, au milieu de la brume, il y avait un château, un château te dis-je ! Il était blanc d’un blanc pur et immaculé. Ses tours immenses semblaient vouloir percer le ciel et ses fortifications repousser le monde. Sa beauté eût suffi à me fasciner, mais mon hébétement venait de ce qu’il n’y avait jamais eu aucune construction de ce genre dans les terres de Bastoc. Ce devait être, alors, une hallucination, mais je ne pouvais m’y résoudre.
Je saisis mes jumelles et les braquait sur l’étrange construction. À ma grande stupeur, j’aperçus des gens, des êtres humains qui cheminaient sur les murs ou au haut des tours. La plupart portaient de lourds vêtements de gardes et de longues hallebardes, mais il en était d’autres en habit de borderie, de belles dames dans de longues et larges robes, des hommes en chemise et pantalon de soie. Ce n’était que le matin, ils étaient encore peu nombreux.
Sans doute auriez-vous fais comme moi. Sidéré par ma découverte, je décidais de rester là durant la journée pour pousser plus avant mes observations. Du reste, j’étais en avance dans ma montée et je ne faisais que remplir le temps qu’il me restait.
Je passais donc des heures à les regarder vivre, parler, tourner. Lorsque le soleil eut atteint son zénith, je les vis enfin tous, dans leur multitude, qui se regroupaient sur la plus haute tour du castel où un banquet avait été organisé. Spectateur impromptu, je les laissais faire sans en manquer une miette. Il y eut des chants, des danses et des rires dont une bonne partie me parvint. Mais aucune parole. Soudain, je vis une petite fille qui regardait dans ma direction. Fixé, je la fixais à mon tour et nous restâmes ainsi à nous entre-observer. Pouvait-elle me voir ? J’eus un frisson à cette idée. Mais si elle m’avait vu, pourquoi ne bougeait-elle donc pas ?
Avant que je n’ai pu trouver une réponse, sa mère s’approcha d’elle et voulut l’emmener, mais la fillette lui glissa un mot à l’oreille. Elle tourna la tête dans ma direction et cria.
Les chants se turent, les rires aussi. Je baissais un moment mes jumelles de peur d’avoir été démasqué et voulut me cacher derrière mon replat, mais la curiosité fut la plus forte. Je rebraquais l’objectif en direction du château et les vit, regroupés qui s’agitaient et criaient en pointant le doigt dans ma direction. Je pouvait en voir des qui riaient, d’autres qui semblaient s’effrayer. Un grand groupe se détacha et commença à repositionner les tables et nappes du banquet pour former des lettres. Ils écrivirent ainsi le mot "Foy" et revinrent vers les autres pour observer ma réaction tandis que les autres multipliaient les signes de mains et de bras pour attirer mon attention. Apeuré par ce que je découvrais, je défis mon installation et reprit l’ascenscion. Mais lorsque je me retournais, le château était toujours là et, malgré la distance, je voyais aisément la foule qui m’observait.
Le soir, je trouvais rapidement le sommeil. La foule s’était dispersée durant l’après-midi.
Puis le matin vint. Croyant avoir rêvé la précédente journée, je me retournais vers l’emplacement où j’avais cru voir la forteresse. Elle était toujours là, immuable, et semblait y avoir toujours été. Sur la haute tour, j’aperçus bien vite quelques curieux venus assister à mon éveil et, voyant que je bougeais, qui devisaient entre eux puis me faisaient signe. L’un de ces signes m’étonnait. Ils décrivaient de larges arcles de cercles pour attirer mon attention, puis pointaient le doigt vers le bas, vers le fond de la vallée.
Je baissais le regard et m’aperçus, non sans y bien regarder à deux fois, que la brume semblait avoir monté. Elle planait à présent jusqu’au haut des premières fortifications sans encore les dépasser. Je m’aperçus qu’elle était aussi montée sous moi. Je pris peur et me remit aussi rapidement que possible à monter, loin de la brume.
À tout moment, je me retournais, et avait l’impression que le blanc nuage gagnait du terrain. Dans mon esprit, il prenait forme, je lui donnais une personnalité et vraiment je n’eus pas été étonné d’apprendre qu’il fut vivant. De fait, il semblait littéralement dévorer la vallée. Au château pourtant, ils ne semblaient pas s’en inquiéter et s’ils hissèrent haut des drapeaux dont les motifs me sont inconnus, leur activité fut calme et heureuse.
Le soir venu, il me fallut m’arrêter et, après un dernier regard à la brume sous moi, je tentais de m’endormir dans un sommeil rempli de cauchemar où je tombais dans un gouffre infini sans que jamais ne vint le sol. Le soleil n’était pas encore levé que je reprenais l’escalade.
Le château avait en grande partie disparu sous la brume qui avait considérablement monté durant la nuit. Il ne restait que quelques tours et la plus haute. Sur celle-ci, j’aperçus quelques familles qui jouaient et plusieurs jeunes filles accoudées au rempart qui m’observaient. Ils avaient aussi élevé une grande banderolle où ils avaient réinscrit ce mot étrange : "Foy". Les jeunes filles semblaient pleurer.
Vers la fin de cette journée, j’allais bientôt atteindre le sommet de la falaise. Je me retournais encore, mais il ne restait plus rien du château. La brume me talonnait, j’augmentait mon allure et avant même que ne vint le soir, j’atteignis le sommet. Je m’attendais à ce que la brume me rattrape rapidement, mais la nuit vint sans que je ne la vis, et, terrorisé à l’idée de sa venue, j’étais resté allongé par terre à regarder le ciel.
Ce n’est que le matin que je me relevais, conscient instinctivement que le danger s’était évanoui et que je me décidais à retourner voir la falaise.
Elle s’étendait bien au dessous de moi, il n’y avait plus ni brume ni brouillard et le soleil irradiait le fond de la vallée. J’aperçus l’autoroute, les villages de Grensel et Irrodlach et le fleuve en contrebas. De mon château, plus aucune trace.
Mes amis vinrent me trouver dans les jours qui suivirent et furent bien étonnés d’apprendre que j’avais fini mon ascenscion plusieurs nuit auparavant. Je leur parlais du château, ils ne me crurent pas.
La nuit, il m’arrive de rêver que je suis à nouveau sur la falaise, et que la brume ne m’a pas rattrapé. Je vois alors la blanche forteresse et ses habitants, je les rejoins et mange avec eux. Si la nuit est particulièrement longue, je rêve que j’y reste pour l’éternité.
C’est pour ça que j’ai arrêté l’escalade, parce que maintenant, où que j’aille, je sais que si je me retourne il n’y aura pas de château et de visages accueillant pour m’accueillir. Quand je monte, désormais, je ne vois plus que le vide...
Petimuel
Silence.
Silenc’ dans le grand hall
Silence dans la salle,
Silenc’ dans la chapelle,
Personne à la vaisselle,
Et jusqu’à ces falaises,
Et silence, et malaise.
Silence.
Et silence, et malaise.
Silence.
Voici un chevalier,
Armuré, verrouillé,
Assis dedans son trône
Assis sous un grand dôme.
Voici un chevalier,
Armuré, cad’nassé,
Il est dans son château,
Son cerceuil, son berceau,
Il est dans ses heur’s pieuses,
Ses heures religieuses
Car tout le jour il prie,
Tout le jour et la nuit,
Mais qui prie-t-il enfin ?
Nul Dieu ni séraphin.
Un paradis en miette,
C’est un château sans fêtes,
Un poissons sans arrêtes,
Un royaume sans tête…
Silence.
Voici un chevalier,
Armuré, bien fermé
Et voici ses laquais,
Ses portiers, ses valets.
Car c’est un chevalier
De grande renommée,
Et d’Orient jusqu’en France,
De Bretagne en Provence,
Brandi, son bras armé
Défit les royautés,
Fit ployer les brigands
Et pleurer les plus grands.
Il sauva des duchesses,
Il aima des comtesses,
Il tua les prétendants
Pour être seul amant.
C’était un homme de Dieu,
Un guerrier des plus pieux,
Dieu le lui rendit bien,
Et le fit souverain.
Il offrit des valets,
Des portiers, des laquais,
Un monde sur qui régner,
Et de quoi s’ennuyer.
Allons,
Donnez moi une coupe de vin.
Que cela ne traîne pas, car je suis suzerain.
Mon estomac est vide, dépêche-toi faquin,
Cours chercher un poulet, et vit’ car j’ai grand faim !
Voici un chevalier,
Epuisé, affamé
Son estomac est plein
Cependant il a faim.
Car ce rêv’ de poulet,
Ces spectres de valets,
Ces rêves de puissance
Ne remplissent la panse.
Et le grand hall est vide.
Cette pièce sordide
Cette grotte, cet antre
A tout’fois en son centre
Un trône de fer forgé,
Celui d’un chevalier.
Seul.