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Liens du sang (les)
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- Écrit par Iggy Grunnson
- Catégorie parente: Fantasy
- Catégorie : Liens du sang (les)
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1.
Maman… Maman ? Maman ! Maman Maman Maman !
La texture obscure, bariolée du monde du cauchemar a viré au blanc intense, et c’est comme ça que j’ai su que je m’étais réveillée. Saine et sauve, à l’issue d’une autre nuit ; mais il me fallut encore un moment pour me convaincre que j’étais hors de danger, le temps que les meubles de ma chambre ne s’accordent pour retrouver leur place habituelle. Les derniers filaments de ténèbres se réfugièrent sous le lit, sous la commode, et dans d’autres de leurs cachettes d’où ils ressurgiraient sans doute à la tombée du soir.
- Tout va bien, ma chérie ?
Ma mère se tenait dans l’encadrement de la porte. Je ne l’avais pas entendue arriver. Elle avait sa façon bien à elle de se matérialiser aux quatre coins de la maison lorsque je l’appelais, et je n’avais pas encore réussi à percer son mystère alors. Elle m’a reposé sa question, et je lui ai dit que ça allait, peut-être que l’ombre confuse du cauchemar commençait à se résorber pour de bon dans mon esprit, ou bien était-ce que certaines questions n’appellent qu’un certain type de réponse, surtout quand la personne qui vous les pose est votre mère.
Un peu plus tard, toujours dans la chambre. Le soleil était déjà haut dans le ciel, en fait ; mais la lumière voilée qu’il déversait à notre intention se cantonnait aux abords de la fenêtre étroite, et son remous nous évoquait l’écho lointain d’une petite cascade. J’étais trop occupée, de toute manière, à déchiffrer le jugement sans complaisance que me renvoyait le miroir. Ma peau était pâle, comme celle de maman (je l’appelais comme ça, bien sûr, ou avec d’autres petits noms, mais nous ne sommes pas encore assez intimes je pense pour que je vous les dévoile déjà), mais c’était là notre seul point commun. Notre dissemblance, lorsque j’avais été assez grande pour m’en rendre compte, avait été pour moi la source d’un sentiment confus de malaise qui me hantait toujours à cette époque. Ses cheveux étaient fins et châtains, alors que les miens s’obstinaient à retomber en grappes de boucles brunes superposées comme des jupons mal assortis. Quant à mon visage, et bien, c’était le genre de visage que l’on aurait pu qualifier de bouille, depuis mes yeux semblables à deux petites billes noires et jusqu’à ma bouche, refermée le plus souvent sur une moue pensive.
Rien de tout cela ne retenait vraiment mon attention, malgré tout. Celle-ci était tout entière captivée par ma poitrine, ou par mon absence de poitrine, ou par l’ébauche de poitrine dont je guettais l’apparition chaque jour passant. C’était, comprenez-vous, l’âge où je m’éveillais à la féminité, et je désespérais de me retrouver ainsi prisonnière de ce corps d’enfant.
Je finis par revenir à moi, et me dépêchai d’enfiler la robe que ma mère avait choisie pour moi ce jour-là : une splendeur d’un autre temps, perles et corset et camaïeu aux couleurs passées, et qui ne pouvais signifier qu’une chose : nous avions de la visite.
Je m’étais fait toutes sortes d’idées sur l’identité de ceux qui nous faisaient l’honneur de leur présence pour le déjeuner, et comme bien souvent mes espoirs furent douchés. Autour de la table se trouvaient donc, dans l’ordre que la préséance imposait : le maître des lieux, Havelock, chevalier de la Pieuvre et seigneur de Daedalion, deux titres parmi une longue liste qui en incluait bien d’autres, dont le Dieu Honni et le Félon, mais cela je ne l’apprendrais que bien plus tard. Il avait rappelé à lui l’un de ses plus fidèles hérauts, Maleviach, afin qu’il lui fasse le récit des dernières nouvelles en provenance de l’Ouest, de la guerre qui se jouait là-bas, féroce et perdue d’avance. A l’autre bout de la table, je m’accommodais fort bien d’être tout à fait oubliée, occupée comme je l’étais à m’imaginer toutes sortes d’aventures dont les héros étaient la salière ou encore un quignon de pain oublié là. Ma mère allait et venait autours de nous en silence, veillant à ce qu’aucun de nous ne manque de rien. Quel spectacle nous devions donner, dans cette grande salle qui sentait le moisi et dont les murs étaient encore couverts des tapisseries abandonnées là par les précédents occupants, scènes de chasses et portraits devenus aussi familiers pour nous qu’une branche éloignée de notre propre famille.
A la fin du repas, les deux vieillards, dont les messes basses et les ricanements s’étaient fait plus bruyants avec tout le vin ingurgité, s’éclipsèrent dans les souterrains pour traiter de leurs affaires. Je m’y intéressais bien peu pour tout dire, seulement dans la mesure où cela signifiait que j’avais quartier libre pour le reste de l’après-midi.
Dehors, les derniers lambeaux d’hivers étaient éparpillés par le vent venu du sud. Sur les pics qui couraient à l’Est et à l’Ouest nous pouvions voir la neige qui s’attardait, mais dans le parc les flocons étaient de pollen et ils circulaient en courants sinueux aux pieds des arbres. Je restai un moment à jouer au cerf-volant, rêvant à un ailleurs que je ne connaissais qu’au travers des nombreux livres alignés sur les rayonnages de la bibliothèque. Une rafale plus violente que les autres envoya mon esquif s’abimer dans le ruisseau qui courait en lisière du bois. Ma mère jaillit de l’ombre de la terrasse où elle avait trouvé refuge jusqu’alors, guettant ma réaction. Je ne tentai rien de démesurément hardi pourtant, me contentant d’observer le naufrage en silence. Le froid se fit plus mordant et nous regagnâmes la tranquillité du château pendant que le soleil achevait son orbite sanglante loin par-delà les montagnes.
C’était maintenant l’heure la plus noire de la nuit. Un bruit m’a tirée du sommeil. J’ai passé mentalement en revue le catalogue des craquements et des sifflements qui peuplaient le château à la recherche d’un suspect, mais la plainte insistante montait de la chambre voisine et je finis par réaliser que c’était ma mère tout à côté qui pleurait. Je me suis extraite des couvertures, mais je ne sentais pas le froid de l’air nocturne, ni celui de la pierre sous mes pieds nus. Je n’avais pas peur, pas vraiment ; mais je ne peux pas nier qu’une inquiétude diffuse me parcourait, qui trouvait son origine dans l’inversion contre-nature de nos rôles, moi venant à aide à maman, elle réclamant ma présence pour la réconforter.
Lorsque j’entrais dans la pièce pourtant elle n’était pas là à m’attendre dans son lit. J’eus à peine le temps de capter sa silhouette qui flottait dans l’encadrement de la fenêtre qu’elle bascula dans le vide. Comme ça, sans un bruit, rien d’aussi violent qu’une chute, non, davantage une soustraction de l’espace géométrique que délimitait le clair de lune.
Je restai longtemps ainsi, sans un mot, sans même esquisser le moindre geste. Poussée par une force dont j’ignorais la nature, je finis par m’avancer et plongeai mon regard droit dans les ténèbres qui s’étendaient loin en contrebas. Maintenant que le vent froid des montagnes m’enveloppait, j’étais complètement glacée. Vue d’ici elle était minuscule, mais même comme ça on voyait bien que son corps était chiffonné et fracturé en plusieurs endroits. Le sang étendait ses pétales noirs tout autour d’elle, ou du moins c’est ainsi que je me l’imagine lorsque j’y repense. Des tâches plus sombres que la nuit alentours se détachèrent du bois tout proche, et j’entendis l’écho lointain des glapissements de la meute hurlante. Avant que les loups n’aient pu entamer leur odieux festin, ils furent rejoints par un nouvel arrivant, dont l’identité ne pouvait faire de doute malgré la distance et malgré la capuche qui dissimulait ses traits. Les bêtes se mirent à courir en cercle autour du vieil homme, hurlant de plus belle à la mort. Il devint vite évident qu’elles n’osaient s’approcher, malgré tout, et lorsqu’il s’adressa à elles sa voix tonnante imposait la soumission et s’exprimait dans un langage qui m’était inconnu. Je tremblais de plus en plus fort, je crois me souvenir avoir vu les loups se disperser à couvert des sapins et puis j’ai perdu connaissance.
Et c’est à ce moment-là que je me suis réveillée.
2.
L’auberge où Amphitryon avait donné rendez-vous à ses camarades était l’un de ces relais crapoteux qui ont souvent la faveur des aventuriers. Le bâtiment était composé d’une unique salle circulaire, dont l’atmosphère étouffante était entretenue par le plafond bas et les murs épais. Adossé à ceux-ci, un grand âtre dispensait sa lumière graisseuse et un peu de chaleur à ceux qui avaient la chance de se trouver à proximité ; ainsi s’établissait, sans qu’il fut nécessaire de l’énoncer tout haut, une hiérarchie entre les plus fortunés des voyageurs et les autres, ceux qui étaient relégués à la périphérie.
Installé confortablement parmi le premier cercle, Amphitryon et ses deux acolytes bavardaient depuis un bon moment déjà. Ils ne s’étaient pas vus depuis longtemps : avant d’aborder le sujet dont il voulait les entretenir, il fallait en passer par les palabres d’usage, faire l’inventaire des cicatrices nouvellement acquises et des fortunes gagnées et perdues, et des connaissances communes dont on était sans nouvelles le plus souvent.
Il n’y avait pas d’inquiétude à avoir au sujet de Lonstroek : la façon trop bruyante qu’il avait de faire s’entrechoquer les mots trahissait l’excitation qu’il ressentait à la seule idée d’en être, et il était clair qu’il aurait accepté n’importe quelle proposition pourvu que Jones en fût à l’origine. Il en allait bien différemment de Hilda, laquelle n’avait pas risqué plus de quelques mots à la fois depuis le début de la soirée. Au surplus, l’œil au beurre noir dont elle était affublée ne faisait rien pour éclairer sa mine renfrognée. Il y avait du vilain là-dessous, c’était certain : il n’y avait pour s’en convaincre qu’à observer la distance inconfortable qui s’était établie entre les deux amants, mais bien sûr Amphitryon ne pouvait se hasarder à poser ouvertement la question, au risque de perdre leur appui à tous les deux. Soit, il faudrait faire preuve d’habileté, et leur donner le temps de rejoindre son point de vue.
- Comme tu vois, tout le monde n’a pas eu la chance de s’en sortir aussi bien que toi, après la guerre…
- Et il y a tous ceux qui ne s’en sont pas sortis du tout, alors, buvons à leur santé, voulez-vous ?
Quand Jones estima avoir laissé passer assez de temps, il reprit :
- Tu as raison, Hilda. Les temps sont durs… Pour tout le monde. Il faut se serrer les coudes, autant qu’on peut. Alors, c’est à vous de voir, bien entendu… Mais je crois pouvoir dire que vous n’avez jamais eu à regretter de vous être joints à moi, par le passé.
- Il y a bien eu cette fois, où nous avons dû ramener un convoi de cahochenilles depuis Haut Buc, tu te souviens ? » Lonstroek arrosa sa boutade d’une lampée généreuse de bière. « Avec la pluie qui versait à torrents et la boue, et les indigènes qui s’amenaient de tous les côtés à la fois…
- Oui, je me rappelle. » Amphitryon sourit, le nez dans son verre. Au contraire de son camarade, l’évocation de ce souvenir ne semblait pas lui inspirer de nostalgie particulière. « Bon, disons que ce sera dangereux. Après tout, autant être honnête. Mais si on n’est pas prêts à prendre de risques, est-ce qu’on a encore quelque chose à faire ici, au juste ?
D’un geste de la main, il fit mine d’inviter ses compagnons à le rejoindre. Pendant qu’ils murissaient sa proposition, il sirota une autre gorgée de Tartalos.
- Voilà ce que je vous propose. La citadelle est à une journée de marche. On part cette nuit, pour éviter les gêneurs, et on sera rendus demain à la tombée du jour.
- Tu veux entrer dans la forteresse… A la nuit tombée ? » Les yeux de Lonstroek roulèrent dans ses orbites, trahissant sa nervosité. Il dut s’en rendre compte car il se reprit aussitôt : « note bien que ça ne me fait pas peur. C’est juste, que…
- A ta place, je m’inquiéterais moins des fantômes des souterrains, que des curieux qui pourraient nous attendre à la sortie pour nous dépouiller. Si nous agissons de nuit, nous pourrons leur échapper plus facilement. »
Leur parler du terrain, des détails dont ils savaient que leurs vies dépendraient le moment venu, voilà la façon dont il comptait les convaincre de le suivre. Ils étaient prêts à le rejoindre, il pouvait presque le sentir.
- Il y a quand même toutes ces histoires de disparitions qui courent dans la région. Rien que tout à l’heure, en discutant avec le palefrenier…
- Et puis, comment ferons-nous pour rentrer ? Les serrures du Hellden ne sont pas réputées s’ouvrir facilement, même pour un crocheteur aussi doué que Lonstroek.
- Ne vous inquiétez pas pour ça. » Répondit Amphitryon d’un air énigmatique. « Je sais comment nous faire passer les portes de la citadelle.
- Ah, je te l’avais dit ! » N’y tenant plus, Lonstroek fit tambouriner ses poings sur la table, se retourna vers Hilda, espérant raviver un peu de leur ancienne complicité : « Maintenant qu’Amphitryon est avec nous, la chance va nous sourire à nouveau !
- Et rappelez-vous : si ce qu’on dit est vrai, il y a assez de trésors sous Daedalion pour qu’on vive comme des rois jusqu’à la fin de nos jours.
- Si ce qu’on dit est vrai, la fin de nos jours, ce pourrait être pour bientôt si nous allons vraiment là-bas.
Voilà qui avait au moins le mérite de clarifier les choses : Hilda ne marchait pas dans la combine. Le boniment de Jones, les bravades de Lonstroek, tout cela participait d’une suite d’enfantillages dont elle semblait revenue depuis longtemps. Cela arrivait parfois à des aventuriers, même de sa trempe. C’était comme ça, ils se retiraient du jeu, prêts à passer à autre chose. Mais quoi ? Amphitryon se demanda si Lonstroek réalisait ce qui était sur le point de lui arriver. Il n’était pas encore tout à fait résolu à se passer des talents de la guérisseuse malgré tout, et songea qu’il avait peut-être encore une chance de la convaincre de se joindre à eux.
- Si c’est vraiment ce que tu penses, je ne peux pas te dire le contraire. Mais cette vie-là devra bien se finir, d’une manière ou d’une autre.
Le regard que Jones laissa courir sur la pénombre qui s’étendait là-bas, au fond de la salle, était lourd de sens, mais Hilda ne cilla pas. Elle continuait de le fixer, dans l’attente de la suite, et il remarqua que son œil tuméfié était injecté de sang. Quelle pitié, que certains hommes se condamnent ainsi à détruire tout ce qui dans leur vie était doté de grâce ! Quant à Lonstroek, puisque c’était de lui qu’il s’agissait, il était pareil à un garçonnet, assistant impuissant à une dispute entre ses parents.
- Un jour, nous serons trop las pour courir le monde. Est-ce que c’est cette fin qui nous attend, nous aussi ? A user nos vieux jours en dilapidant l’aumône à la table d’un bouge ? » Amphitryon laissa les mots en suspens, de sorte que chacun pût en apprécier la portée. « Est-ce qu’il ne vaut pas mieux jouer le tout pour le tout, une dernière fois, et gagner de quoi nous reconstruire une vie ailleurs, qui vaille vraiment la peine d’être vécue ? »
A suivre...
Bonne lecture!
PS. Le récit se retrouve dans la catégorie "Fantasy", j'imagine qu'il faudrait créer une sous-catégorie pour y placer les épisodes suivants, mais je ne sais pas comment faire!
En l'état (les 2 premières parties) le texte est assez court, et n'appelle pas forcément à une analyse critique très poussée. J'ai voulu le partager avec vous pour avoir vos premières impressions, et voir éventuellement s'il y a besoin de corriger le tir pour la suite.
J'espère que la relative brièveté du texte motivera justement certains à se fendre d'une critique, en croisant les doigts pour que ça suffise à relancer un peu l'animation ici...
Iggy
D’abord, c’est une bonne idée d’employer la première personne. Sur ce plan, il y a des choses intéressantes et d’autres plus maladroites. Je note aussi un certain décalage entre l’âge supposé de la narratrice et son langage. C’est notamment flagrant quand elle se raconté des histoires avec une salière et un quignon de pain.
mais il me fallut encore un moment pour me convaincre que j’étais hors de danger, le temps que les meubles de ma chambre ne s’accordent pour retrouver leur place habituelle.
Cette phrase fait partie des maladresses. C’est étrange de procéder ainsi. Parce que cette phrase tue en quelque sorte ce que tu cherches à faire. Elle nie l’idée de danger et de tension, alors que tin début cherche à happer le lecteur. Tu dis qu’elle hors de danger, alors qu’on ne le connait pas, donc, du coup, on ne se sent plus concerné. Avant de dire une telle chose, tu devrais au contraire nous faire partager quelque peu cette impression de de danger, de panique. Pas forcément longtemps, mais juste pour nous placer dans la tête du personnage. Là, c'est pas cohérent avec un récit à la première personnage qui se veut plus immersif, surtout avec les cris qui ouvrent le texte. Bref, joue avec l’incertitude de ton personnage. Elle est censée douter entre ce qui est rêve et réalité. Fais-nous le partager. Et c’est pas grave qu’on ne comprenne as tout, parce que cela force à être plus attentif et tu crées immédiatement une tension narrative.
Je pense que l’idée est là mais la formulation est vraiment pas terrible et inutilement compliquée. Il y a d’autres façons pour impliquer plus fortement le lecteur et plus simples. C’est curieux, parce que l’ombre de Morslieb était un récit à la 1ère personne et tu ne montrais pas ces maladresses.(je l’appelais comme ça, bien sûr, ou avec d’autres petits noms, mais nous ne sommes pas encore assez intimes je pense pour que je vous les dévoile déjà),
La façon dont tu présentes la mère lui donne à chaque fois un côté fantomatique. Elle est là, mais elle semble flotter ou se matérialiser soudain.Ensuite, il y a indéniablement une image qui se forme, un peu poussiéreuse, d’un temps oublié, des descriptions. Ce n’est pas pour autant « gothique », cela me fait juste penser à ces images qu’on trouve dans les films de Visconti où l’on voit une noblesse déchue qui fantasme sa splendeur passée dans un rendu assez sordide.
C’est l’aspect le plus réussi du texte. Sans dire de manière explicite les choses, le lecteur comprend de quoi il en retourne. Peut-être d’ailleurs ne devrais-tu pas mentionner le mot « sang » dans le titre, qui évoque très vite le monde des vampires.
La scène finale est également curieusement traitée. On devine une volonté de créer une certaine distance entre la vision de l’enfant et la réalité, mais je trouve qu’il s’en suit une sorte de détachement. C’est là où je trouve aussi que tu n’exploites pas assez la « je » de la narration. On a droit à des descriptions visuelles et tu emploies une langue très littéraire, là où tu aurais pu créer une rupture de ton.
Par exemple ;
Je restai longtemps ainsi, sans un mot, sans même esquisser le moindre geste. Poussée par une force dont j’ignorais la nature, je finis par m’avancer et plongeai mon regard droit dans les ténèbres qui s’étendaient loin en contrebas. Maintenant que le vent froid des montagnes m’enveloppait, j’étais complètement glacée. Vue d’ici elle était minuscule, mais même comme ça on voyait bien que son corps était chiffonné et fracturé en plusieurs endroits. Le sang étendait ses pétales noirs tout autour d’elle, ou du moins c’est ainsi que je me l’imagine lorsque j’y repense.
C’est pas ce que j’attends d’une enfant qui vient de voir sa mère tombée de très haut, avec du sang partout. On a quelqu’un qui parle froidement. On n’a pas un être humain en face de nous, encore moins une enfant. Y a pas une once d’émotion alors que tu t’efforce de nous la montrer comme telle : elle joue, elle s’ennuie, elle rêve, elle s’inquiète de son corps. Mais sa mère meure et elle ne ressent rien. Certes, on peut dire que le froid extérieur est une métaphore de son froid intérieur, mais je trouve que ça cloche, que ce n’est pas tout à fait cohérent. Alors bien sûr, le point positif, c’est qu’il se dégage un certain malaise devant cette enfant qui ne réagit pas normalement. Vu l’histoire que tu veux raconter, ce n’est pas forcément un point négatif. Mais du coup, à aucun moment, tu ne profites vraiment de la dimension intime qu’implique le « je » de cet être. Et le lecteur que je suis reste au final assez distant, parce que le texte ne me demande à aucun moment de vraiment rentré dans l’histoire.
D’un autre côté, le « je » nous donne une vue subjective de la scène. Et sur ce plan, tu y réussis. Elle a un côté un peu irréel qui fonctionne. Et ce contraste entre la cruauté de ce qui est décrit et le ton de la fille est saisissant. Mais j’aimerai voir d’avantage ce qui se passe dans la tête ou le cœur de cet enfant. Même si elle ne panique pas, elle ne pleure pas, elle éprouve forcément des choses. Elle pourrait trouver rigolo que les loups se nourrissent de sa mère, ou trouver l’inconnu beau, ou avoir envie de profiter de la neige pour faire des boules et chasser les loups avec. Bref, des pensées d’enfants et non des phrases si littéraires.
Ici, tu as une excellente idée. Seulement, là aussi, tu emploies une formulation trop tarabiscotée. Cette idée que la mère puisse appeler sa fille pour la sauver perd en impact à cause de ça. C’est là où une formulation plus enfantine (mais si la narratrice est peut-être plus âgé que celle de la scène, cela devient ambigu).Je n’avais pas peur, pas vraiment ; mais je ne peux pas nier qu’une inquiétude diffuse me parcourait, qui trouvait son origine dans l’inversion contre-nature de nos rôles, moi venant à aide à maman, elle réclamant ma présence pour la réconforter.
Donc au final, cette partie produit sur moi une impression curieuse. J’ai le sentiment que la scène mériterait d’être plus longue pour que le lecteur ait une plus forte proximité avec cette petite fille, qui ne fonctionne pas comme toutes les petites filles. En l’état, on retient plus des images, une dimension visuelle du texte (tu as besoin quasi viscérale de rendre chaque scène visuelle et c’est l’une des tes qualités), que le désir de la connaitre. Cela reste à mon sens trop froid et vu de trop loin. Je dirais qu’il manque une vraie scène où tu la montrerais vraiment vivre et où le lecteur se sentirait vraiment avec elle.
C’est marrant que tu aies repris le nom de Lonstroek. Cela fait partie des noms que j’ai jamais trop aimés. J’ai du mal à trouver des noms de personnage. Quant à ma pauvre Hilda, je ne sais pas dans quelles galères elle s'est fourrée... Je suis fière d'elle, qu'elle ait plus de plomb dans la tête que les énergumènes qui l'accompagnent...
Autre point qui fonctionne alors que tu t'étais dernièrement montré assez maladroit en la matière: les dialogues. Certes, ils racontent beaucoup l’histoire. Ils sont classiques, mais ils sonnent justes. Et puis, on y sent le vécu des personnages. Peut-être que Lonstroek est en l'état un peu cliché. On se trouve face à trois individus qui ont leur personnalité, leur passé. Et ils forment un trio qui n'est pas forcément stable, et ça, c'est intéressant. Et c'est dit de manière subtile, on ressent les choses, sans que ça soit trop lourdement montré.
Donc cette scène pose un décor et joue son rôle d’accroche. On a une belle aventure qui s'annonce, avec des difficultés et un peu de mystère. Et ton savoir-faire fonctionne à plein ici. En fait, je m'esquinte à chercher des trucs à dire parce que je ne vois pas trop quoi rajouter.
Pour moi, la scène en l'état est donc réussi. reste que je me doute que tu es parfaitement dans ton élément et que ce n'est pas forcément là où je t'attend le plus. Donc j'attend la suite pour ça.
Juste un idée en passant... Et si tu morcelais ta première scène au file de l'histoire? Tu crées des petites séquences entre chacune des parties de l'histoire avec Jones. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire... Le procédé provoquerait une tension narrative intéressante, je trouve... Et comme ça, on se doute que le destin des aventuriers va converger avec celui de cette petite fille, sauf qu'on se demandera comment (ça, c'est le cas, mais l'idée actuelle ne délivre pas la même tension que j'imagine)... Ce type de séquence te permettrait de revenir plusieurs fois sur les images. Je vois ça de manière déstructurée. Au début, le lecteur ne peut pas forcément les comprendre. Par exemple, l'image de la mère allongée dans la neige. Puis peu à peu, l'histoire dans sa totalité apparaîtrait. On voit du sang. Puis seulement après, on comprendrait qu'elle a été défenestrée. Bref, ce genre de procédés.
Tu m diras si ça te parle ou pas?
Je ne reviens pas sur la deuxième partie, je suis content qu'elle t'ait plu, notamment pour les dialogues que j'ai essayé de soigner suite aux retours sur mes textes précédents. Quant à l'emprunt de Hilda et Lonstroek, c'est ma petite façon de faire revivre l'univers étendu des chroniques, ou la fameuse ANPE des chevaliers pour ceux qui en ont entendu causer
La première partie est plus ambitieuse, ton retour me donne l'impression qu'il y a pas mal de choses qui passent : le côté fantomatique de la mère, l'ambiance "noblesse déchue"... Finalement, le plus compliqué reste le personnage de la fille. Effectivement, je voulais créer un décalage entre son âge apparent et la façon dont elle s'exprime, pour mettre la puce à l'oreille du lecteur. Mais tout ne fonctionne pas aussi bien que je le voudrais, et je vais bien garder en tête tes remarques pour retravailler un peu le texte a posteriori (peut-être une fois que tout aura été écrit, histoire d'y voir plus clair?).
La scène la plus problématique est évidemment la dernière... Mon objectif c'est de donner à comprendre, sans l'expliquer vraiment, que la vie de la fillette est divisée en deux phases distinctes : le jour, où elle vit une existence quasi-normale (au milieu des antiquités, mais bon) et la nuit, où elle est confrontée à toutes sortes d'horreurs. Au début de l'histoire, ces deux phases sont indépendantes, et au petit matin elle ne se rappelle plus de ce qu'elle a vécu/vu/fait la nuit, sauf des bribes de cauchemar... Et bien sûr l'enjeu de l'histoire sera pour elle d'embrasser sa nature et de faire fusionner ces deux aspects de sa vie. La dernière scène peut donc être vue comme un rêve, qui rebouclerait donc sur l'intro - à la fin de la première partie, on sait pourquoi elle appelait sa mère dans son cauchemar au début. Symboliquement au travers d'une seule journée on a un aperçu de toute sa vie...
Bien sûr ça c'est la théorie, et je pense que certaines de tes remarques font mouche. Effectivement la transition entre cette petite fille "qui joue, qui rêve, etc." et la version "mort-vivante" de la dernière scène est peut-être trop abrupte pour fonctionner. Il y a aussi cette distance que j'ai tendance à créer entre le narrateur et les événements, c'est un reproche que j'ai aussi entendu pour "lorsque les brumes se dissipent" et il faut que je réfléchisse un peu si je peux/ si je dois y remédier.
Iggy
La scène de la taverne se lit toute seule. C'est vraiment ton fort de poser une ambiance un décor et une poignée de personnages en quelques phrases. On est dans le bain, les dialogues sont bons et coulent de source. La caractérisation des personages est i intéressante et ne cède pas à la facilité ou aux clichés, que ce soit le couple ou la nature de leur discussion. Et pourtant c'est une scène de taverne
J'ai moins aimé la seconde, je n'étais pas dedans, encore prise dans la première. C'est certainement une bonne scène de taverne mais je l'ai lue en diagonale, je ne vais donc pas m'appesantir dessus.
En allant dans les détails...
« Autour de la table se trouvaient donc, dans l’ordre que la préséance imposait : le maître des lieux, Havelock, »
Marrant, jusque là j’étais dans des décors que j’avais imaginés contemporains, et tout à coup je me retrouve projetée dans une autre époque
« Une rafale plus violente que les autres envoya mon esquif s’abimer dans le ruisseau qui courait en lisière du bois. Ma mère jaillit de l’ombre de la terrasse où elle avait trouvé refuge jusqu’alors, guettant ma réaction. »
Et me voilà dans un petit château en Bourgogne. J’aime bien ces changements de décor
« ... la tranquillité du château »
Yep, voilà le château confirmé.
Merci pour le partage Iggy!