Non, je n’ai pas tort.
8h57. J'ai même 3 minutes d’avance. Le bruit diminue lentement mais lentement aussi un murmure grandit et le remplace. J’avance tranquillement au milieu de la rue. Derrière moi, le brouhaha devient de plus en plus compact. Devant, des gens courent sans comprendre et je m'amuse à les éviter. Des gens qui courent sans savoir ce qui les attend, ni où ils vont. Et d’ailleurs, moi, pourquoi ai-je pris à gauche alors que j’aurais dû continuer tout droit ? Ou même à droite. Mais surtout pas prendre à gauche! C'est une erreur sans nom! Qu’il est étrange de suspendre sa vie sur un simple choix. Un simple choix de direction. Prendre à gauche et non à droite ou tout droit. Ou courir. Certains courent vers leur mort. Pas moi. Je préfère marcher. Qu’il il est bon de choisir ! Oui, choisir sa vie. Et assumer ses choix. Jusqu’au bout…
Prendre à gauche est une chose, mais continuer mon chemin sans courir une autre. C’est encore plus impensable que d’avoir tourné à gauche. Je pose mon pied sur un banc, sors mon paquet de cigarettes et en prends une alors que j’avais arrêté depuis huit jours. La première bouffée me rappelle combien mon geste est ridicule. Ridicule comme tout ce que je fais depuis quelques minutes. J’aime la sensation du temps qui passe sans que je n’aie de prise sur lui. Et pourtant j’ai ce sentiment de puissance en moi. Au loin, j’entends des sirènes qui s’approchent. Au bout de trois bouffées je jette ma cigarette avec son paquet à moitié plein dans la poubelle à côté de l’arrêt de bus. Je suis fier de ce geste. Tous ces gens autour de moi qui n’ont certainement aucune raison de vivre en se levant ce matin ne me voient pas. Je suis comme transparent à leurs yeux. Et pourtant, s’ils savaient…

9h06. Je suis dans le bus. La circulation se fait plus dense. Des ambulances, des pompiers et même la police essaient de se frayer leur chemin. Leur sirène ne cesse d’attirer les regards. Nous approchons. La foule agglutinée autour du bâtiment regarde la fumée en sortir, d’un gris dérisoire au-dessous des nuages qui obscurcissent le ciel. 9h10. La plupart des voyageurs décident de sortir pour aller voir ce qui se passe. Je les regarde grossir la foule. Pourquoi les retenir? C’est leur choix. Chacun choisit sa vie. Mais on ne choisit pas sa mort.
Les feux rouges paraissent durer une éternité. Il règne un étrange silence dans le bus. 9h13. Encore un arrêt et je descendrai. La seconde explosion retentit, plus forte. On entend même à travers les vitres des cris, longue plainte qui ondule comme un serpent sans fin. Une fumée, noire cette fois-ci envahit la place, comme une nuée d’insectes. Il est 9h15. Je descends du bus sans me retourner. Et je marche droit devant moi. Et je prendrais sans doute à gauche, par plaisir.
Oui, j’ai raison. Et les morts aussi ont raison, mais moi je vis parmi les morts. Et les morts, eux, ne crient plus.  Mais moi, j’ai raison parmi les vivants.

J’ai raison.

 

 

 

 

 

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